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COURTE CAPE.

que je le lui vis prendre au sérieux, je m’en alarmai tout de bon, et ne négligeai rien pour lui ôter une idée aussi contraire au bon sens qu’à ses véritables intérêts. Mais j’avais affaire à trop forte partie, ou du moins à un homme trop convaincu de son infaillibilité, pour que mes paroles portassent coup.

— Ce que je te disais en riant, à propos de mon valet de chambre, — reprit Charles, — est une théorie très-démontrée pour moi, et à laquelle j’ai subordonné les principaux actes de ma vie politique. Dernièrement encore, appelé à donner mon avis sur la composition du ministère dont je fais partie, j’ai mis en pratique l’idée qui te semble si paradoxale. Au lieu de choisir mes collègues parmi les hommes les plus éminents de l’opinion parlementaire qui me portait au pouvoir, je n’ai appelé dans le cabinet que les notabilités secondaires, les talents d’un ordre inférieur. C’était le seul moyen de donner de l’unité à notre administration, de concentrer sa force et de…

— Et de t’assurer la prééminence, — ajoutai-je en souriant. — Tu es comme beaucoup d’honnêtes gens, qui ne voient d’autorité homogène que là où ils dominent sans contestation.

Cette remarque effaroucha mon ami, qui, d’un air très imposant, plaça son pouce dans l’entournure de son gilet. Après quoi il me déclara, dans les termes les plus polis du monde, que mon intelligence n’allait point jusqu’à saisir la portée de certaines vues, le mérite de certaines tactiques. Je le trouvai quelque peu impertinent, et, prenant tout aussitôt congé de lui :

— Au revoir, dans un an ! — lui dis-je. — Nous repren-