Page:Grandville - Cent Proverbes, 1845.djvu/394

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
304
MOINEAU EN MAIN

— C’est là que ma vocation m’appelle ; là seulement je puis espérer de réaliser mes plans. À moi le monde, la gloire, l’éclat, tous les triomphes et les prestiges de la renommée !

Celui qui parlait ainsi était poète ; l’exaltation de ses gestes et de son langage l’indiquait assez.

L’autre, Paul, était poète aussi, mais d’un genre plus calme et plus modeste.

— Tu pars, disait-il à son ami d’une voix attendrie, tu quittes le quartier de nos études et de nos rêves ; puisses-tu ne le regretter jamais ! puisses-tu, dans la vie nouvelle où tu vas entrer, ne pas te reporter avec tristesse vers le temps où nous récitions ensemble des élégies, des sonnets et des ballades aux rossignols du Luxembourg !

— Pauvre esprit que tu es ! répondait l’autre, ne vois-tu pas que le pays où je vais entrer est celui de la fortune et de la célébrité : végète et rampe, si telle est ta volonté ; mais du moins n’empêche pas les aiglons de prendre leur essor.

L’aiglon qui parlait de la sorte franchit le Pont-des-Arts triomphalement, et laissa son ami regagner tristement le quartier Saint-Jacques qu’il habitait. Paul se trouvait ainsi logé dans le voisinage des institutions, où il exerçait les fonctions de répétiteur et employait ses loisirs à composer des vers et des travaux d’érudition, mêlant par une sage division de son temps l’utile du professorat au dulci des belles-lettres et des muses.

Paul resta près d’une année sans avoir de nouvelles de