Page:Grave - La Grande Famille.djvu/296

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Instinctivement, ses yeux se portèrent dans la direction du bagne, dont la silhouette massive se profilait plus en noir dans l’ombre du crépuscule.

Et toutes ses rancœurs lui revinrent en foule : Faudra-t-il donc, se disait-il, que nous subissions longtemps encore, la tyrannie de nos maîtres ? Non ! cette division des hommes en deux, classes : les dirigeants et les dirigés n’est pas juste, ne peut être éternelle. Non, il n’est pas admissible que les uns aient toutes les jouissances, et les autres toute la peine, toutes les misères.

Ceux qui nous commandent, ceux qui possèdent, sont-ils pétris d’une autre pâte que nous ? Actuellement, ils nous sont supérieurs par leur savoir, parce qu’ils se sont réservé le monopole de l’instruction, mais, est-ce que moi aussi, je n’aurais pas pu m’initier à ces sciences dont je n’ai, malgré ma ferveur, ramassé que des miettes, assez seulement, pour me rendre compte qu’en définitive, la meilleure partie en échappera toujours à ma compréhension, parce que je n’aurai jamais ni le temps, ni les moyens de les étudier à fond.

Pourquoi n’ai-je pas ce temps et ces moyens ? J’ai pourtant travaillé depuis l’âge de douze ans, sans trêve ni relâche. Je n’ai connu que la misère et les privations pendant que d’autres sont restés inactifs et ont de tout à satiété.