Page:Grave - La Société future.djvu/14

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chauds rayons du soleil qui l’éclairent et la réchauffent, faisant miroiter, sous leurs caresses, comme un grandiose miroir, la nappe unie de ses eaux, toujours semblables, l’évolution transforme les idées, change les mœurs insensiblement, d’une génération à l’autre, sans que les individus s’en aperçoivent pendant la courte durée de leur vie. Mais si leurs mœurs, leurs tendances, leurs aspirations changent, les institutions fondamentales restent immobiles, et le conflit éclate.

De même la rivière s’étale librement, et voilà qu’au bout de la plaine, là-bas, ses rives s’élèvent, se rétrécissent tout à coup, et forcent, sans transition, la rivière à resserrer ses flots, à canaliser son cours. Ce lac, auparavant uni, calme, d’apparence immobile, accélère son cours, ses flots grondent contre les obstacles qui obstruent son lit, se brisent contre les rocs qui arrêtent leur marche, entament les rives qui les emprisonnent, arrachent les matériaux qui leur serviront à assaillir d’autres obstacles plus solides. Et la rivière tranquille et inoffensive devient le torrent tumultueux qui aplanit tout sur son passage.

C’est ce que les gouvernants n’ont pas su comprendre et c’est pourquoi — fidèles à leur rôle du reste, — ils ont toujours essayé d’endiguer le flot de l’idée régénératrice, pour la forcer à se canaliser entre les digues élevées par leur ignorance. Et, lorsque le fleuve irrité, devenu plus puissant que ses entraves, les balaie en brisant les remparts qu’ils croyaient si solides, l’aveuglement de ces ignorants est si profond, que c’est au fleuve qu’ils s’en prennent, ne s’apercevant pas que la catastrophe n’est que le résultat fatal et nécessaire de leurs travaux d’endiguement ; que c’est à leur maladresse qu’ils doivent imputer le