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dette chez l’imprimeur, je vis tout à coup entrer quelqu’un qu’il me semblait connaître, sans pouvoir, sur le moment, mettre un nom sur sa figure.

— Vous ne me reconnaissez pas ? fit-il.

— Vous êtes Ardouin.

Le nom m’était revenu.

Nous refîmes connaissance. Je lui parlai de l’incident de la Cour d’Assises dont il me raconta les détails.

— Voilà ce qui m’amène, reprit-il. Voulant m’affranchir du patronat, — il était ouvrier fleuriste — j’ai monté un atelier de couleurs pour fleuristes. Mais l’affaire ayant prospéré au-delà de ce que j’avais prévu, j’ai été amené à prendre des ouvriers. Ne voulant pas les exploiter, je leur paie une bonne journée et à l’inventaire, à chaque fin d’année, nous partageons les bénéfices. Mais quelques-uns d’entre eux ont des femme qui occupent des ouvrières qu’elles paient très mal, et il n’est nullement question de partage de bénéfices, D’autre part, j’ai remarqué que, lorsqu’on leur présente une liste de souscription, soit pour quelque œuvre de solidarité, soit pour quelque œuvre de propagande, plusieurs d’entre eux se défilent la plupart du temps. Je ne trouve pas cela juste. J’ai décidé que, dorénavant, une partie seulement des bénéfices serait leur, l’autre irait à des œuvres de propagande ou de solidarité. J’ai lu votre appel, et je vous apporte une partie de la somme prélevée sur les bénéfices de l’année.

Ce disant, il me tendit un billet de cinq cents francs !

Cinq cents francs ! C’était une aubaine qui ne se produisait pas souvent.

Pendant longtemps, Ardouin nous continua un versement mensuel de 80 fr. environ.

Ce fut Pissarro qui, deux fois, paya nos dettes chez l’imprimeur, dépassant mille francs à chaque fois.

Une autre fois, ce fut une camarade polonaise qui m’apporta deux mille et quelques cents francs provenant d’un héritage qui lui était échu et que, adversaire de l’héritage, elle considérait ne pas devoir garder.

Enfin, un de nos abonnés à la « Révolte », le camarade Lucien Massé de Ars-en-Ré, nous laissa, par testament, une somme de douze cents francs avec laquelle nous fîmes imprimer diverses brochures.