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Le président Benoit et l’avocat général Bulot s’étaient particulièrement acharnés contre eux.

Cette même semaine fut condamné à douze ans de bagne le camarade Grangé, réfractaire, qui avait tiré, mais sans les atteindre, sur les gendarmes venus l’arrêter. Cette férocité des juges exaspéra les milieux anarchistes.

Ces événements ne pouvaient passer sans que la Révolte les qualifiât comme ils le méritaient.

Méreaux m’apporta un article : « Viande à mitraille », Il était d’un individu assez étrange qui fréquentait leur groupe depuis peu. À ceux qui lui demandaient son nom, il répondait que son nom n’avait pas d’importance. Qu’on l’appelât « N’importequi ».

L’article était bien un peu ampoulé, sortant du ton habituel de nos articles, mais il disait ce qu’il fallait dire. J’insérai, et la semaine suivante, je recevais une convocation m’invitant à me présenter chez le juge d’instruction André.

Les articles n’étant signés, ni au Révolté, ni à la Révolte, c’était donc moi qui, comme gérant, était responsable. Le juge m’ayant demandé le nom de l’auteur de l’article, je refusai de le lui dire. Il n’insista pas, du reste.

Cela marcha vite. Trois semaines après, je passais en cour d’assises. C’était Bulot qui devait requérir contre moi. J’ai oublié le nom du président.

À la demande : quel est votre avocat, je répondis que je n’en avais pas besoin. Mais la cour eut à délibérer si, vraiment, je serais autorisé à m’en passer. Cela me fut accordé à la fin.

L’interrogatoire fut de pure forme. Tout ce que je me rappelle de la diatribe de Bulot, c’est, s’adressant aux jurés : « que leurs prédécesseurs, en semblables cas, avaient toujours condamné ; que, par conséquent, ils condamneraient, eux aussi. Ils ne pouvaient faire autrement ».

En fait de justice, c’était peut-être un peu primitif. Mais, d’un avocat général, il ne faut pas trop exiger.

Le président m’ayant ensuite donné la parole, mon discours ne fut pas long. Je n’avais rien préparé et j’étais