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L’ÎLE D’ANTICOSTI

s’accentuaient, et presque tous les hommes avaient les jambes enflées. Le 16 février, un coup terrible vint foudroyer le camp : le capitaine de Freneuse s’en était retourné vers Dieu, au milieu des prières de l’extrême-onction. Puis ce fut le tour de Jérôme Rosseman, puis celui de Girard, puis celui du maître-canonier qui, avant de mourir, abjura le calvinisme. Chacun, avant l’heure suprême, se confessait au P. Crespel, puis s’éteignait saintement dans la résignation. Quand tout était fini, les moins faibles se levaient, traînaient au dehors les cadavres de leurs camarades et les amoncelaient dans la neige, à la porte de la cabane, car nul n’avait la force d’aller plus loin.

« Les éléments conjurés luttaient avec ces angoisses terribles. Le 6 mars, une tempête de neige se déchaîne sur l’île et écrase sous une avalanche la cabane du P. Crespel, le forçant à venir se réfugier dans celle des matelots qui était plus spacieuse. Là, pendant trois jours, ils furent retenus prisonniers par l’ouragan, sans pouvoir allumer de feu, n’ayant rien à manger, ne se désaltérant qu’avec de la neige fondue et voyant périr de froid cinq de leurs camarades. À tout prix, il fallait sortir de ce tombeau. En unissant leurs efforts, ils réussirent à déblayer la neige ; puis, ils vont aux provisions. Hélas ! le froid est piquant ; un quart d’heure a suffi pour geler les pieds et les mains de Basile et de Fou-