Page:Grelé - Jules Barbey d’Aurevilly, L’œuvre, 1904.djvu/160

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et « enraciné » au sol. Mieux que tous les coninienlaires, le pays où il est né rend compte des hardiesses du peintre d'Une Vieille Maîtresse et de l'orthodoxie de l'apolog^iste des PropJu'tcs du Pttssé. Les bornes resserrées du terri- toire natal Toid emprisonné dans le au'cerc dura des croyances nobiliaires et des dogmes catholiques. Le culte de la tradition l'a retenu près du tombeau de ses ancêtres. Il a été contraint à rester chez lui, — ou à y revenir de bonne heure, après de juvéniles échappées et un sem- blant d'émancipation, — par un instinct et un sentiment d'hérédité, de solidarité ancestrale, plus forts que tout, plus puissants que sa propre personnalité, plus persistants que ses tendances les plus obstinées. Il a été ramené au berceau de son enfance et à la maison de sa famille par un pouvoir mystérieux et invincible. Mais il s'est dédom- magé de sa servitude, librement acceptée, quoique invo- lontaire peut-être, aux êtres et aux choses du passé, en ouvrant toutes grandes les portes de sa prison sur l'infini des espaces verdoyants, des paysages du ciel et de la mer. Et, par là, si le Cotentin fut sa Bastille, ce fut du moins une douce Bastille, embaumée des parfums de l'air natal ; ce ne fut pas un lieu d'exil, ce fut un lieu de délices : car il s'appelait '< la patrie ». Lorsque d'Aurevilly eut pu souffrir de l'étroitesse des limites où il était res- serré, vite son imagination s'envolait, les ailes éployées, dans l'immensité du firmament et de l'océan. Normand de tradition, il devenait alors Normand par la sensibilité, la rêverie et les tendances les plus individuelles de sa nature propre. Après n'avoir été de son pays que par l'oppression des influences héréditaires, il s'y établit spontanément et pour toujours, en pleine conscience de ses devoirs et de ses droits. Il y a construit une demeure bien à lui.