Page:Grelé - Jules Barbey d’Aurevilly, L’œuvre, 1904.djvu/201

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rien. » (1). Ne faisons pas attention pour le moment aux criantes exagérations de cette critique ; il s'agit seule- ment d'en considérer l'aspect extérieur. Or, il semble bien que là se révèlent tous les procédés, très naturels et sans ombre d'artifice, de Barbey d'Aurevilly, — depuis les interjections du début, Ve.x abnqjto quasi oratoire de l'entrée en matière, l'onomatopée normande, les incor- rections mêmes des images heurtées et surchargées, jusqu'à l'idée finale : « M. Hugo n'est immobile en rien. » Il y a dans cette page un tel mouvement de sensations, d'impressions et d'images que le lecteur en est presque étourdi.

On pourrait donc, je crois, définir l'art, — l'art litté- raire , du moins , — chez [Barbey d'Aurevilly : une succession, une accumulation d'images destinées à illu- miner une idée. Il résulte de là que l'art n'a pas sa raison d'être en soi, ne possède qu'une valeur d'emprunt et ne doit briller que pour faire mieux reluire la pensée. Voilà peut-être toute l'esthétique du poète de Poussières aussi bien que du romancier de V Ensorcelée et du cri- tique des Prophètes du Passé.

Ainsi résumée, on voit par où elle diff'ère de l'esthé- tique classique. Elle exclut l'austère harmonie, la préci- sion, la sobriété que recommandaient Descartes et Pascal. L'harmonie lui paraît provenir du manque de poumons : c'est la vertu des gringalets, des pales joueurs de flûte. La précision, d'Aurevilly la stigmatise du nom de sécheresse : c'est la qualité maîtresse des laborieux, des esprits mal doués. Quant à la sobriété ou la concision, il n'est pas éloigné de la confondre avec l'impuissance. Bref, il oppose victorieusement l'esthétique romantique

(1) Les Misérables, de M. Victor Hugo (P.iris, 1862), p. 35.