- 205 -
fi'issûiiiier dans l'air, tel un étendard de rédemption, le drapeau du « particularisme » intellectuel des provinces françaises. Il se donne tout entier à cette tâche aussi noble que vaine ; il y met tout son cœur de Normand et d'aristocrate.
Aristocrate en effet, Barbey d'Aurevilly rend son esthétique plus inaccessible encore à ses contemporains. Par là, loin de les rallier, il s'isole d'eux chaque jour davantage et élargit le fossé qui les sépare de lui. Il ne lui suffit pas d'écrire à Trebutien : « Je regrette presque de savoir le français », ou de noter, dans son Chevalier Des Touches, une déclaration de ce genre : «Je suis plus patoisant que littéraire et plus Normand que Français »; il veut qu'on sache qu'il est plus aristocrate que roman- cier ou critique, et plus Français d'ancien régime qu'homme de son temps. Il fait peu de cas d'un homme qui n'est qu'écrivain. L'homme d'action lui semble infiniment supérieur. Un homme d'action doublé d'un écrivain, voilà son idéal. C'est pourquoi il aime tant d'Aubigné, lord Byron, Alfred de Vigny, et qu'il les propose comme modèles à tous ceux qui tiennent une plume. L'action, c'est la vie : exprimer et traduire la vie, ce doit être la suprême ambition d'un lettré. Il faut, d'ailleurs, que l'homme et l'écrivain soient d'accord et en pleine harmonie, de telle sorte que ce soit son « action » propre que le romancier ou le poète, voire l'historien, réalise ou revive dans ses œuvres.
Guidé par cette idée directrice, d'Aurevilly avoue ses préférences pour le roman historique, qui permet à l'au- teur d'être lui-même, comme romancier, et en même temps de vivre dans le passé, en tant qu'historien. Il en expose la théorie avec une espèce d'enthousiasme surhumain qui le ravit. « Je ne suis pas le terre-à-terre de l'histoire