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C'est à cette époque qu'il écrit sa première nouvelle, intitulée Léa. Elle est datée de juillet lcS32. Telle est la manifestation inaugurale de sa carrière d'artiste : car on ne peut compter pour un véritable début YOde aux Thermopyles , composée en 1824. Si à quinze ans d'Aurevill}^ imitait Casimir Delavigne et s'en faisait gloire, son enthousiasme juvénile ne dura pas longtemps. A peine sorti du collège, il brisa son idole d'une heure avec la même fougue qu'il avait mise à l'élever sur un haut piédestal, et, à la place du dieu détrôné, il n'éprouva pas le besoin de s'en choisir un autre. Il avait fait table rase, à jamais, des admirations plus ou moins conven- tionnelles du jeune âge; il n'admit plus aucun saint sur son calendrier littéraire. Et pourtant ce n'étaient pas les divinités qui manquaient; il s'en érigeait alors toute une pléiade. Vers 1830, il y avait encombrement de statues à chaque carrefour de la poésie, du théâtre, du roman et de l'histoire.

Sans consulter les goûts du moment, sans se soucier de la faveur publique, sans faire appel au patronage d'hommes en vue, l'étudiant de Caen fixe son choix sur une forme d'art très difficile et alors peu cultivée: la nouvelle. Mérimée n'avait pas encore publié ses chefs- d'œuvre. Le genre, si gaulois, du conte rapide et bref, du roman abrégé et concis, du récit sobre et resserré dans d'étroites limites, était tombé en discrédit. Point n'est besoin d'une autre raison pour que le jeune Barbey, qui a toutes les témérités de l'adolescence, qui sera toute sa vie un entreprenant et un audacieux, essaye de remettre à sa vraie place, à la place d'honneur, la nouvelle tout à fait délaissée. Par là, il renoue la tradition nationale interrompue et alimente son talent naissant dans la plus pure veine du génie français.