Page:Grelé - Jules Barbey d’Aurevilly, L’œuvre, 1904.djvu/218

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

- 214 —

a dû vous dire la part immoiiso que je prenais à votre chagrin. Je la regrette pour vous et aussi jo hi regrette pour moi, et à votre foyer elle me ni;in(]uera toujours. Mou ami. du moins ce n'est pas la un coup de foudre. Elle avait eu elle une niala^lie mortelle, puisqu'elle était votre niere. J'ai perdu la mienne aussi. 11 est dans nos destinées, quand elles sont ce qu'elles doivent être, de voir mourir nos mères avant nous. Quand nous mourons avant elles, c'est pour elles une catastrophe sans cg-ale et comme une atroce cruauté de la nature. Mais quand ce sont elles qui partent les premières, c'est une loi... et il faut se résigner. D'ailleurs, la mort, est-ce la mort ? Ce que je connais de plus vivant et de plus présent dans nos cœurs, ce sont les spectres adorés de ceux que nous avons perdus. Je ne dis pas cela pour vous consoler. On ne console de rien, le temps fait son travail sur les âmes vulgaires, mais les âmes distinguées, les âmes comme la votre ne perdent jamais la douleur de leurs cicatrices, et les blessures, la gloire des blessures, c'est, fermées, de faire toujours mal ».

Une autre lettre, datée du " jour do Noël » 1SS7, n'est pas moins significative. . « Mon cher Armand, nous n'avons pas rérc/lloiDié cette nuit comme en des temps plus heureux, mais je ne veux pas que ce nouveau Noël se passe sans que je vous écrive, moi qui n'écris plus à personne ! Que cette lettre-ci soit donc comme un témoi- gnage d'amitié. Vous êtes, je crois, le dernier ami que j'aurai jamais de cette (lualité d'amitié. Nous avons derrière nous des aimées de souvenirs qui sont une chahie qu'il est impossible de briser. Si cette chaîne, au moins, nous unissait épaule contre épaule, sans éloi- gnement et sans absence ! Mais non. Il faut vivre à se ronger le ccrur loin de ceux qu'on aime et dont l'intimité