Page:Grelé - Jules Barbey d’Aurevilly, L’œuvre, 1904.djvu/237

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à Londres, n'a pas répondu aux prophétiques espérances de cet autre exilé qui avait trouvé refuge à Paris, c'est que le sort est cruel et la destinée implacable aux êtres, même les mieux doués, qui n'ont pas équilibré leurs facultés sous le joug d'une loi ferme, d'une règle fixe, et qui n'ont point cherché le repos dans l'harmonie d'une existence bien assise. Mais cette considération n'était pas de nature à ébranler les convictions que s'était for- gées d'Aurevilly en matière de puissance cérébrale. Plus que jamais, jusqu'à la fin de sa vie, il a tenu pour les « irréguliers » contre les « soumis ».

Cette attitude de révolte se manifeste principalement, chez l'apologiste des Prophètes du Passé, au début du XVIII siècle, lorsqu'il lui plaît de juger le grand Saint-Simon. Il ne se doute pas qu'en étant sévère pour l'illustre mémorialiste il fait du même coup son propre procès, à lui d'Aurevilly. « C'était, — dit-il, — un de ces esprits brillants, mais sans ductilité, con- tournés, difficiles à aligner, plus chimériques que Fénelon peut-être, quoiqu'il fût très positif dans ses passions et ses sentiments, et destiné par sa nature, vis-à-vis de tous les pouvoirs, à une opposition éter- nelle. Louis XIV, pas plus que Napoléon, pas plus que tous les hommes nés pour le commandement, ne se souciait de ces originalités qui rompent un ensemble et contrecarrent des décisions. Aussi, excepté pour l'am- bassade d'Espagne, qui ne fut qu'une chose de représen- tation et d'étiquette, Louis XIV laissa pour tout le reste le duc de Saint-Simon à l'antichambre, et le duc s'en est souvenu en jugeant le Roi ». (1) Mais Napoléon III lui- même n'eût-il pas agi, le cas échéant, tout comme

(1) Mémoires liistorii^nes et lillétaires (Lemerre, 1893) p. 10.