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de Victor Hugo. Entre les deux Maîtres de la langue française au XIX« siècle se place donc, — toutes propor- tions gardées et réserve faite des différences de sujet, de manière et d'ampleur,— le brillant et fougueux romancier de V Ensorcelée. Le rang est certainement enviable.

Mais ce n'est pas seulement le caractère épique de l'œuvre, qui témoigne du romantisme de Barbey d'Aurevilly. Les situations y sont éclatantes de beauté prodigieuse : c'est bien. Les physionomies y sont illu- minées de splendeur extraordinaire: c'est mieux encore. Pourtant ce" qui s'y découvre de plus merveilleux, c'est l'exacte proportion des unes et des autres, leur relief « adéquat », leur harmonie parfaite, — et surtout la maîtrise supérieure avec laquelle l'écrivain a insufflé la vie à ses héros. Voilà, à coup sûr, un beau roman où décors et personnages sont unis en étroite symétrie. Avant 1830, on n'en avait jamais composé de pareil à celui-ci.

Qu'on ne dise pas, d'ailleurs, que d'Aurevilly se soit inspiré de tel ou tel romantique et ait pris ses couleurs sur la palette d'un illustre devancier. Par le fait même qu'il reconnaît et salue ses précurseurs, il se considère comme tenu à plus d'originalité. Il est le premier qui touche d'une main respectueuse et d'un pinceau fidèle aux Chouans de Basse-Normandie. C'est son domaine propre. Le pays qu'il dépeint, la lande de Lessay, n'avait jamais tenté même un poète ; et la grandiose figure de l'Abbé de La Croix-Jugan, — figure d'exception et de réalité idéalisée, — ne pouvait vivre d'une vie intense que sous le souffle d'un sculpteur ayant une personnahté vigoureuse et « enthousiasmé » de son sujet. Si c'est là du romantisme encore, il faut convenir que ce romantisme est de haut vol, se recommande par des caractères bien

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