Page:Groslier - À l’ombre d’Angkor, 1916.djvu/102

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qu’illuminaient des cercles de bougies, et que voilaient les fumées ; devant les ossements des trépassés, conservés dans de petites coupes, tous les bonzes assis, immobiles, l’éventail en main et leurs têtes rases baissées, psalmodiaient interminablement. Une lumière chaude s’épandait des lieux et baignait le bas du tronc clair des palmiers.

L’orchestre s’était installé dans la sala [1]. Il faisait rage. Cent torses nus luisaient. Le long des cloisons de bambous, des femmes écoutaient, protégeant les atours de leurs enfants. L’air était acre et la rumeur des voix faisait un bruit de ruche. Par delà les cases, le murmure, le fourmillement de la foule ; on savait que les cinq tours sombres d’Angkor portaient la nuit.

Tantôt grêles, tantôt graves, des voix s’élevaient. Elles formulaient de longs appels prolongés, légèrement tremblés, suppliants, impressionnants. Les Cambodgiens appelaient leurs morts. Mère ! criait un homme. Fille ! disait une femme. Et ces clameurs gémissantes montaient de tous les points de l’horizon avec les prières. Elles signifiaient :

« Mère, fille, femme, mari, venez ! Venez

  1. Sala : abri destiné aux passagers, aux voyageurs.