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L’APPEL DE LA RACE

incomparable en nos campagnes québecquoises. C’est l’heure, le point de recoupement entre les grandes poussées végétales et les maturités commençantes. Les arbres étalent abondamment leur chevelure d’un vert dru, vigoureux, gonflé de sève. Pas une herbe n’a encore été fauchée. Les pièces de mil et de trèfle sont pleines de senteurs embaumantes ; les cerisiers, le long des clôtures, cachent partout des nids d’oiseaux sonores. Des bords des fossés monte un parfum de fraises champêtres. Un air enivrant vous gonfle les narines ; et je ne sais quel fluide de jeunesse et de printemps vous pénètre, vous redresse la poitrine, vous rend les jambes plus élastiques, pendant que nu-tête vous foncez dans le vent chaud et que vos pieds, vos pauvres pieds fatigués des durs pavés des villes, dansent presque sur la douceur de l’herbe.

Terrien lui-même, le Père Fabien écoutait ce discours, visiblement pris par une évocation qui lui ramenait toute son enfance paysanne. Il se garda bien pourtant d’oublier son impatiente préoccupation. Et tout de suite :

— Mais, mon cher poète, ces paysages ne vous ont-ils confié que des souvenirs ?

Lantagnac parut hésiter. Son front devint subitement soucieux ; et le pèlerin eut l’air de rassembler de loin ses idées. Il reprit :

— Père, vous êtes un fils de la terre comme moi. Donc vous avez dû goûter, une fois ou l’autre, aux bonnes rêveries du soir, au bout du champ, vous savez, quand le serein redonne du ton