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premier volume 1878-1915

— Mais ce n’est pas ici, c’est là-bas !

Là-bas, c’est le point d’où nous arrivons.

— Mais nous en revenons. Et le préposé nous a dit que c’était ici.

— Le préposé s’est payé votre tête. Voilà tout.

Le second préposé avait raison.

Je recueille ici ces menues misères sans y attacher plus d’importance qu’il ne faut. J’ai connu d’autres Français et je recevrai d’autres accueils en France, particulièrement en 1931, lorsque j’irai donner des cours en Sorbonne et à l’Institut catholique de Paris. Je n’ai jamais caché d’autre part mon attachement à la culture française, et je m’en suis exprimé quelques fois avec une certaine chaleur. C’est bien en France aussi que j’ai rencontré quelques exemplaires des plus fins civilisés, une élite catholique comme il ne s’en trouve guère ailleurs. Une ou deux séances de réception à l’Académie française, un Carême du Père Janvier à Notre-Dame, un autre du Père Pinard de La Boullaye, une couple de soirées à l’Opéra, à la Comédie-Française, le Misanthrope de Molière joué au Vieux-Colombier par la troupe de Jacques Copeau, m’ont fait dire souvent : il n’y a qu’à Paris et en France où l’on se puisse payer de pareils spectacles et des divertissements de cette qualité. Mais je ne puis non plus le cacher : mes premières rencontres avec les Français m’ont douloureusement révélé tout ce qui séparait le Français de là-bas du Français du Canada. L’anticléricalisme parisien du début du siècle me blesse profondément. À défaut d’autres motifs, il m’aurait préservé de ces pâmoisons sentimentales où se laissent entraîner trop de Canadiens français pour tout ce qui est français de France et pour la France elle-même. En moi le Canadien français n’a jamais abdiqué. Je ne me suis jamais caché la pauvreté culturelle de mon jeune pays ; mais il est resté mon premier et mon unique pays. Je ne lui ai jamais préféré la France.