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premier volume 1878-1915

étranges, chez un homme dont M. Chapais ne nous cache pas, du reste, les incontestables mérites. C’est piquant, amusant, malicieux et délicieux !

Premier Congrès de la Langue française (1912)

Et j’en viens à la suite malheureuse du discours du 22 janvier 1911 : l’invitation à prononcer un autre discours au premier Congrès de la Langue française de l’année suivante. Par surcroît, mes amis du Parler français me confient un sujet on ne peut plus austère : « Les traditions des lettres françaises au Canada ». Et, pour comble, on m’impose de parler à la séance la plus solennelle du Congrès, dans la salle de l’Arena québecois, et tout de suite après un discours magistral, d’une densité d’acier, de M. Étienne Lamy, représentant de l’Académie française. Son discours, de style et de forme extrêmement denses sur la langue française, captivera vivement l’immense auditoire. Deux orateurs, deux discours ! Dialogue du chêne et du roseau ! Le grand mérite de mon discours en sera la brièveté. Je ne dépasse point la petite demi-heure. J’y développe ces idées assez peu originales que, pour être canadienne sans pourtant viser à l’absolue autonomie, notre littérature avait eu à se mettre à bonne école. Mais à quels maîtres avait-elle choisi d’aller ? Consubstantielle au peuple dont elle sera l’expression, ainsi que toute littérature, la littérature canadienne ne peut se dispenser de s’adresser aux maîtres de l’art le plus français et le plus humain. Donc lui a-t-il fallu exclure les maîtres du 18e siècle, « ni chrétiens ni français » (Faguet dixit), puis se garder aussi du « brouillard romantique », si le romantisme, c’est d’abord un étranger : Jean-Jacques Rousseau, et se garder encore d’autres esthétiques « qui n’ont enrichi l’art français que de cela même qui ne le constituait pas ». Restait alors la littérature classique, celle du grand siècle, puisque nulle n’est plus française ni plus humaine. J’ose même dire : nulle n’est plus canadienne en ce sens que nulle ne nous est plus consubstantielle. Rejeton du vieux pays, c’est entre l’âme française du temps de Louis XIV — ou de ce qui en a survécu — et la nôtre que l’on découvrirait le plus « d’harmonies survivantes » : même foi, même esprit de