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deuxième volume 1915-1920

que, dans les cercles ecclésiastiques, on appelle avec une pointe d’humour ou de dépit, le presbytère du Curé, « l’évêché du nord ». Après la disparition de Mgr Bruchési, gravement malade, beaucoup d’évêques, qui ne goûtent guère l’accueil plutôt glacial de son coadjuteur, marquent nettement leur préférence pour l’ « évêché du nord ».

Je m’attarde à décrire ce milieu. Je voudrais en délimiter nettement l’influence que j’aurais pu en subir. On y a tellement cherché l’origine de ce que l’on a pu appeler mon système de pensée et voire ma conception de l’histoire. Lors de mon arrivée au presbytère de l’abbé Perrier, en 1917, ai-je besoin de le dire, je suis déjà nationaliste ; je le suis depuis longtemps, à la façon du Curé. Je le suis comme tout Canadien français normal, ou si l’on veut, comme tout tenant d’un groupe culturel minoritaire, exposé au péril d’endosmoses redoutables, obligé par conséquent à la préservation des éléments essentiels de sa culture. Être nationaliste, est-ce autre chose ? Et y a-t-il si grand crime à l’être ? Malheureusement, par la plus extraordinaire des aberrations, l’on a tellement galvaudé et déformé l’idée et la chose au Canada français, qu’on a fini par stigmatiser le nationalisme comme une monstruosité idéologique et comme une sorte de péché. Vertu chez les Anglo-Canadiens, vice honteux chez les Canadiens français. À nos beaux esprits, rien ne paraît plus étroit. Pour un peuple penser à soi, se replier sur soi, égoïsme archaïque, immonde. Comme si les plus grandes nations n’étaient pas obligées, de temps à autre, à ces reprises de conscience, à ces raccrochements aux idées-forces de leur civilisation. Et comme si se replier sur soi, c’était s’enfermer dans une coquille. Pourtant je crois avoir connu quelque peu la pensée de mes contemporains. Que voyions-nous dans la doctrine nationaliste, sinon, pour notre petit peuple, une synthèse vitale ? Une doctrine humaine, à maints égards, profane sans doute, destinée à sauvegarder des valeurs humaines. Mais ces nationalistes des lendemains de 1900 se souviennent aussi que la civilisation, entité organique, « s’appuie essentiellement sur un choix spirituel ». Dès lors ils croient et professent que l’avenir de leur nationalité réside dans un vigoureux équilibre de forces matérielles et spirituelles, et voire dans une information de celles-là par celles-ci. Synthèse, pour reprendre le