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deuxième volume 1915-1920

elle-même, vers 1910, n’évoque l’ultime étape qu’avec une infinie discrétion. Mais à quelles épaves se cramponne toujours la vieille école de nos hommes politiques ! De passage à Paris, en 1931, les étudiants de la Maison canadienne me rapporteront, à ce sujet, une exclamation éplorée de ce brave homme que fut Thomas Chapais. Le vénérable sénateur revenait de Genève où il avait siégé à la Société des Nations, à titre de délégué du Canada. 1931, c’était l’année du Statut de Westminster, document pourtant assez inoffensif. Mais le cher homme ne contenait plus ses alarmes devant cette grave évolution de l’Empire britannique. « Où allons-nous ? », s’était-il écrié devant les étudiants les bras levés au ciel. Exclamation révélatrice. Si même en 1931 des hommes intelligents en politique pensaient ainsi, que pensaient les autres ?

L’école nationaliste, je ne le cache pas, s’est présentée à moi avec une autre séduction. J’ai rencontré là quelques-unes des plus hautes intelligences et des plus nobles cœurs de mon temps. Leur influence a marqué ma vie, et d’une certaine façon, mon enseignement. J’ai aperçu, j’ai compris l’attente de ce milieu intellectuel. J’y ai trouvé un stimulant qui m’a fouetté, qui m’a fait concevoir encore mieux les sévères exigences de mon métier d’historien. Non, certes, que la pensée ne soit jamais entrée en mon esprit d’asservir ce métier à quelque école ou à quelque groupe que ce fût. Dès lors je crois pouvoir me rendre ce témoignage : je ne conçois nullement la discipline de l’histoire comme une maîtresse d’impassibilité. M’acquitter de ma tâche, je sais que je ne le pourrai ni ne le devrai faire par un dépouillement de ma qualité de catholique et de Canadien français. Ce serait me dépouiller, à mon sens, de mon être original, du fond même de ma personnalité. Ce dépouillement, le souhaiterai-je au surplus, qu’il me paraît impossible. On ne se dépouille de soi-même qu’à la condition assez affligeante de n’être personne. Je m’en explique dans l’ « Avertissement » de l’un de mes premiers volumes, Vers l’émancipation :

Nous ne confondons point l’impartialité avec la neutralité. L’histoire est un acte moral non affranchi par conséquent des finalités suprêmes. Notre ambition et notre droit sont de l’écrire et de l’enseigner comme doivent le faire un catholique et un Canadien français. L’historien doit travailler et penser avec toute sa