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premier volume 1878-1915

légende des hommes nécessaires ou irremplaçables. Et j’insistai sur le besoin d’une réponse le plus tôt possible. Je voulais profiter de mon voyage, par conséquent m’y préparer. Enfin, je n’obtins de mon évêque, qui avait le don, en pareil cas, des formules sibyllines, que cette réponse fort évasive : « Comptez que, pour le moment, je n’y ai aucune objection. » C’était peu et c’était beaucoup. Ce même jour, j’annonçai à qui voulait l’entendre que j’avais ma permission d’aller en Europe et que je partirais à l’automne.

Les circonstances continueront de me servir on ne peut mieux. Sur la fin de l’été, mon évêque prenait le chemin de l’hôpital. L’avant-veille de mon départ, j’allai le saluer et prendre congé à l’Hôtel-Dieu de Montréal. Il me reçut sans chaleur, me dit bonjour, ne me demanda ni où j’allais, ni ce que j’allais étudier. On ne pouvait me laisser carte plus blanche. J’avais l’intention de partir pour au moins trois ans. Chargé forcément d’organiser moi-même mon programme d’études, j’avais dessein d’aller poursuivre à Rome des études de philosophie et de théologie, puis de les couronner par une autre année d’études littéraires à Paris ou ailleurs. Mes finances ne me permettaient ni plus long séjour ni plus d’ambition. Tant bien que mal, et tout en enseignant, j’entreprends de préparer mon voyage. J’entends en profiter le plus possible. En matière d’art, ma préparation lointaine et prochaine se confond avec le néant. Je m’achète la Grammaire de l’Art (est-ce bien le titre exact ?) de Charles Blanc. Et je pioche ce gros bouquin. Je veux visiter et voir avec des yeux ouverts et quelque peu instruits.

Le 11 octobre 1906, presque avec l’âme des anciens aventuriers, je m’embarque à New York, à bord d’un petit paquebot allemand, le « Prinzess Irene », en route pour Naples d’où je gagnerai Rome. Quatorze jours de traversée. Pendant ces deux longues semaines, point d’autre spectacle que l’image immense et monotone de la mer, à peine changée quelques soirs par la noyade tragique, à l’occident, de l’orbe de feu qui, avant de se laisser engloutir par le monstre, tente, dirait-on, de l’incendier. Et c’est