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premier volume 1878-1915

aumône, chante d’une voix si douce et si mélancolique, Santa Lucia. Choc profond et douloureux. Misère qui, dans quinze ans à peine, enfantera une singulière et considérable révolution.

Et je partis pour Rome où d’autres chocs m’attendaient. Je m’inscrivis à La Minerve, vénérable université où avaient pris leurs parchemins la plupart de mes anciens professeurs de collège et dont ils n’avaient cessé de me faire l’éloge. J’y menai de front, comme beaucoup de mes camarades du Collège canadien, les cours de philosophie et de théologie. Hélas, j’éprouvai de vives déceptions. La Minerve, de mon temps, — c’était avant les grandes réformes de Pie X, avant l’Angelico, — traînait le pied, ne portait plus sur la tête qu’un casque dépoli. Et combien ces salles de cours sombres, si pauvrement meublées, m’impressionnèrent défavorablement. En philosophie, j’ai la nette impression d’entendre un cours à peine supérieur à celui qu’on m’avait donné au Séminaire de Sainte-Thérèse. Je fais exception néanmoins pour un professeur de psychologie, un Père Zacchi (si je me souviens bien), qui manifestement avait pris contact avec l’école de Louvain, alors très en vogue, sous l’impulsion du futur cardinal Mercier. Je puis me reprendre heureusement en théologie dogmatique. L’occupant de cette chaire, un professeur espagnol, le Père Buonpensiere, professeur âgé, d’une diction et d’une voix plutôt pauvres, s’y révèle profond métaphysicien et d’une argumentation que je dirais pugilistique. Il ne me fait pas oublier les cours de l’abbé Arthur Curotte au Grand Séminaire de Montréal. Mais avec lui, je ne reste pas sur ma faim.

Tout en suivant ce double cours de l’université dominicaine, et pour astreignante que soit la perspective des examens, je suis de ceux de mes camarades qui ne renoncent pas pour autant à tout souci de culture générale. Était-ce pédantisme ? Nos études principales, pensions-nous, pouvaient-elles ne pas gagner à cet élargissement de l’esprit ? Pour ma part, je ne voulais pour rien au monde devenir l’un de ces professeurs qui, pour n’être que les hommes d’une seule science, ne dépassent jamais le niveau du professeur de manuel. La peste de l’enseignement. « Professeurs gramophones », comme nous disions alors, esprits enregistreurs plutôt qu’assimilateurs, et dont quelques-uns, parmi mes maîtres, m’avaient si cruellement désenchanté. Sans négliger ni philosophie