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mes mémoires

tribue en classe et je m’impose de les commenter. Je supprime la composition hebdomadaire ; j’opte pour la composition de quinzaine, quitte à intercaler, entre les deux, ce que j’appelle un devoir de lecture. Je définis et défends cette méthode, lors d’un Congrès de l’Enseignement secondaire, tenu au Séminaire de Québec, les 20-21 juin 1914[NdÉ 1]. J’y disais :

 

je me permets de penser qu’une composition tous les quinze jours, j’entends une vraie composition où tout est rédaction — suffit amplement à exercer les élèves. Est-on sûr, si elles sont plus fréquentes, d’échapper au danger du verbiage, du ressassement des mêmes pauvretés ? Personne de nous ne voudrait se soumettre à ce système de fatal épuisement. Les élèves, n’ayant point le loisir de renouveler leurs provisions d’idées encore si modestes ni d’étendre leur vocabulaire toujours si restreint, ne peuvent que se traîner déplorablement sur d’insipides clichés… Donc le professeur donne un sujet de composition le lundi ; les cahiers lui reviennent le samedi suivant ; puis, c’est la semaine de repos, ou plutôt, la semaine de l’analyse littéraire, ou plus exactement, du devoir de lecture. Le professeur désigne une œuvre de maître, soit une tragédie, un sermon, une oraison funèbre, un chapitre de La Bruyère, etc., etc. Il pose ensuite un certain nombre de questions précises, bien combinées, et qui forceront l’élève, pour y répondre, à une lecture attentive, pénétrante, analytique de son texte. Seulement le professeur spécifiera toujours qu’il n’exige aucun effort considérable de forme ; il veut un compte rendu, l’analyse sommaire, en termes justes et abstraits autant que possible, d’un texte étudié avec soin.

J’exposais plus en détail ma façon de procéder, ainsi que ma méthode de correction. Puis j’optais, avec d’excellentes raisons, pour la composition de quinzaine. Il n’était pas rare que des élèves m’arrivassent en Rhétorique, n’ayant jamais lu en entier ni une tragédie de Corneille, de Racine, de Molière, ni un chapitre de La Bruyère, ni une lettre de Mme de Sévigné. Que faire avec ces pauvres petits illettrés ? Mon confrère, le professeur de Belles-Lettres, l’abbé Antonio Hébert, se convertit sans difficulté à la composition de quinzaine. En combinant nos programmes nous parvînmes à donner à nos humanistes et rhétoriciens, une

  1. Voir Actes de ce Congrès, Québec, 1915, pages 66-74.