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deuxième volume 1915-1920

annexé une condition formelle : d’ici deux ans, l’abbé n’enseignera dans aucun des collèges de la région de Montréal. Que craignait donc le cher évêque ? Évidemment une émigration en masse, une sorte de passage de la mer Rouge des collégiens de Valleyfield vers le collège où j’aurais pu me diriger ! Crainte bien gratuite, pour ne pas dire puérile. Avant mon départ, je m’étais gardé de toute propagande. Au fait, une couple de séminaristes, trois ou quatre collégiens, dont Percival Caza, quittèrent Valleyfield, mais uniquement pour avoir été molestés dans les années précédentes, et donc las d’une situation intolérable : traitement que leur avait attiré, hélas, le simple titre de dirigés d’un certain abbé. Décisions de collégiens d’ailleurs prises avant même mon départ. À peine au surplus ai-je mis le pied dans Montréal, que Valleyfield me paraît à trois cents lieues. Par caractère, sinon pour motifs plus élevés, j’avoue n’avoir jamais été sujet aux longues rancunes. Toujours y ai-je vu une tyrannique servitude à l’égard de ceux-là qui nous ont fait du mal. Bien plutôt un manteau de plomb me parut s’abattre sur mon passé, celui de 1900 à 1915. Mes nouvelles occupations, l’atmosphère de la grande ville, l’attente de l’avenir firent se dissoudre ce qui aurait pu me rester d’amertume dans l’esprit et dans le cœur. J’avais hâte à tel point de porter en moi une âme changée, neuve.

J’en suis là. Un matin de la mi-septembre, je viens à peine d’achever ma deuxième retraite au Mont-Sainte-Marie, qu’un téléphone me mande chez Mgr Bruchési. Je m’y rencontre avec l’abbé Émile Chartier, secrétaire adjoint de l’Université Laval (de Montréal). Nous sommes en la deuxième année de la première Grande Guerre. M. René Gautheron, professeur de littérature française à ce qu’on appelait la Faculté des arts (il n’existait point de Faculté des lettres proprement dite), vient d’être mobilisé et rappelé en France. Ce professeur donnait des cours pratiques de littérature une fois la semaine et une vingtaine de conférences publiques. Mgr Bruchési nous apprend le départ de ce professeur, puis nous tient ce propos :