Page:Groulx - Mes mémoires tome I, 1970.djvu/269

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
261
deuxième volume 1915-1920

pés de collèges, fils à papa, mêlés de quelques cancres qui fréquentent l’École sans savoir pourquoi. C’est que l’École des Hautes Études commerciales a coûté aux finances de la province deux millions : somme extravagante, énorme pour les modestes budgets de l’époque. D’où, pour démontrer l’opportunité de l’institution et affronter les critiques, obligation pour le gouvernement de recruter les premiers élèves sans trop de scrupules. Ces petits vandales ont déjà saccagé pupitres et bancs des classes, jeté par les fenêtres de précieuses collections de métaux et de plantes. À ma première leçon, j’ai donc besoin de faire appel à toutes mes ressources de pédagogue pour dompter mes jeunes sauvages. Grâce heureusement à l’appui de quelques jeunes gens et bonnes têtes placés au premier rang et qui veulent écouter le cours, j’apprivoiserai les petits fauves. Ils ne me feront point la grâce d’écouter mon enseignement ; ils cesseront leurs gamineries, causeront entre eux à voix basse, liront les journaux, fumeront la cigarette et me laisseront la paix. Comme ils faisaient rouler des marbres qui descendaient jusqu’à ma tribune et que ces petits drôles trouvaient cela bien amusant, j’endurai l’espièglerie quelques moments, puis interrompant ma leçon, je leur tins ce bref discours : « Je ne vous embête point. Pourquoi m’embêtez-vous ?… Je ne vous demande point de m’écouter, mais de laisser écouter vos camarades d’en avant, que le cours paraît intéresser. » Ces quelques mots prononcés avec calme eurent le don de les figer. J’enseignerai pour une dizaine d’élèves. Nouvelle tâche de professeur qui n’allège guère mes travaux d’historien improvisé, même si je suis heureux d’enseigner l’histoire du commerce qui va me révéler plus nettement le rôle du facteur économique dans la vie des États et des peuples. C’est pour moi gain précieux. Dès lors, et depuis mon enseignement à Valleyfield, la notion d’histoire que je porte en ma tête est celle de l’histoire intégrale, celle qui embrasse les divers aspects du passé d’un peuple ou d’une société. Et dans la texture du passé canadien-français, il ne m’est pas inutile de mieux apercevoir le rôle de l’économique.

Bataille gagnée. Autre résultat remporté à l’Université dès la deuxième conférence, celle du 1er décembre 1915, où je traiterai de la « Question des subsides ». Dans un article de ce mê-