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deuxième volume 1915-1920

retient par sa remarquable érudition, son esprit philosophique, ce grand air qu’il sait donner à l’histoire. J’accorde un coup d’œil à Augustin Thierry. Je m’attarde davantage dans Fustel de Coulanges, regardé en ce temps-là comme un maître parmi les maîtres. Je lis Guizot que je ne trouve pas si méprisable qu’on veut le faire croire. Taine m’intéresse assez longuement. Mes préférences de ce temps-là vont pourtant à Pierre de La Gorce : Histoire de la seconde République française, Histoire religieuse de la Révolution française. Cet historien me semble incarner, avec son sens de l’ordre et tout son charme, l’aisance française, la plus parfaite alliance en histoire de la science et de l’art : une érudition qu’on soupçonne à peine, tant les événements et les hommes ont l’air de s’expliquer eux-mêmes ; et ce ton serein d’ancien magistrat, de gentilhomme narrateur en son salon ; et ce don de psychologue à percer les secrets des plus grands figurants de la comédie humaine. Je fais grâce de bien d’autres historiens : de Louis Madelin, par exemple, intéressant, admirable conférencier, mais tout autre que maître de style ; de quelques historiens anglais et américains et de maints auteurs de monographies et de biographies que m’imposent, au jour le jour, les besoins de la documentation. Je passe outre enfin aux ouvrages qui traitent de ce que l’on appelle les sciences auxiliaires de l’histoire, ouvrages de sociologie, de géographie par exemple : la Géographie humaine de Jean Brunhes et la Géographie de l’Histoire de Jean Brunhes et Camille Vallaux, ce dernier ouvrage, vraiment précieux. Que ne doit pas lire l’historien d’aujourd’hui qui s’aperçoit tôt qu’il n’y a d’histoire que l’histoire intégrale et que tout ce qui est humain est de sa mouvance ?

Peut-être, me demandera-t-on, par quel miracle j’ai pu lire et annoter tant d’ouvrages alors que les exigences de la recherche devaient dévorer une grande partie de mon temps ? Parler de miracle est superflu. Ma recette est toute simple et je l’offre à qui la voudra éprouver. Toute ma vie, je puis le dire, je ne me suis jamais livré à un travail de rédaction qu’auparavant je n’aie pris la peine de me mettre le cerveau en forme par un bout de lecture. Et j’entends par là l’affrontement assidu avec la pensée d’un grand écrivain ou d’un grand penseur, auteurs de ces grands livres qui ont le don de vous fouetter les facultés. Il se peut que la lecture soit tout à fait étrangère au sujet que l’on veut