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mes mémoires

d’y voir un cénacle du nationalisme, et surtout le laboratoire où ma doctrine aurait subi son incubation. On l’a cru voir jusqu’en ma conception de l’histoire, conception gravement infléchie, a-t-on prétendu, et qui aurait même dégénéré en histoire de type nationaliste. Les influences du milieu sur tout homme, quel qu’il soit, qui peut se flatter de les déceler et de les mesurer avec exactitude ? Notre esprit a des recoins et des replis qui échappent à toute exploration. On commence à peine d’explorer le fond de l’océan. Où est la technique qui permettrait de voir clair dans cet autre océan : les ultimes profondeurs de l’âme humaine ? Dans mon petit jardin de Vaudreuil, lorsque plantées trop près les unes des autres, je l’ai constaté, des fleurs de même variété, mais de couleur différente, aboutissent, par le mélange des racines ou par le vol des pollens, à de notables échanges de nuances et voire à des réductions au même type. Ces phénomènes de biologie se reproduiraient-ils dans le monde de la psychologie ?

Le presbytère de l’abbé Perrier fut avant tout une maison sacerdotale. Le prestige de ceux-là qui l’ont fréquenté ne pouvait empêcher néanmoins que l’atmosphère n’en fût imprégnée d’un certain esprit, de certaines idées. Ces idées, j’ai essayé d’en rappeler quelques-unes. Puissé-je avoir démontré que le nationalisme de l’époque n’eut rien de la caricature qu’on en présente trop souvent ! Et ce faisant, je songe moins, qu’on veuille le croire, à une apologie d’un groupe d’hommes que j’ai profondément admirés, encore moins à une apologie personnelle. Je songe surtout aux terribles conséquences de certaines déviations de pensée. Voici, en effet, une chose bien extraordinaire : nulle part, peut-être, le nationalisme n’est plus désavoué, plus bafoué qu’au Canada français. Nulle part le mot n’a de sens plus péjoratif. Cependant quel petit peuple au monde serait tenu plus que le nôtre, de façon plus impérieuse et plus légitime, à l’attitude et à l’action nationalistes ? Mais alors et au nom de quelle déraison et au prix de quels périls voudrait-on qu’il s’en dispensât ? L’avouerai-je, et qu’on me pardonne la vulgarité de la comparaison, le geste de l’insecte qui se mange les pattes ne m’a jamais paru si intelligent.

La guerre de 1914

Au presbytère du Mile End, on vit une vie intense. À mon arrivée, j’étais encore relativement jeune. Je sortais d’un milieu de