Page:Groulx - Mes mémoires tome I, 1970.djvu/317

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
307
deuxième volume 1915-1920

problèmes du Canada français. Et son originalité sera peut-être d’en chercher la solution avec une passion fébrile. Le principal animateur du groupe, le Dr Joseph Gauvreau, définissait ainsi la nouvelle venue : « organe vigilant, allègre, énergique, et surtout traditionaliste ». Et le Docteur assignait cette tâche à la revue : « Travailler, par une action inlassable, à la survivance de notre race, c’est-à-dire au maintien de sa foi, de sa langue et de ses traditions ». À ce moment-là, je ne fais pas encore partie de la Ligue des droits du français. Mais elle a déjà sollicité ma collaboration à son Almanach de la Langue française, jusque-là la plus importante de ses publications. Sa revue aussitôt fondée, la Ligue ne tarde point à me faire appel. Édouard Montpetit écrit l’article de tête du premier numéro : « Vers la supériorité ». J’écris le premier article du deuxième numéro : « Une action intellectuelle ». Je me crois fondé à prédire, en notre Canada français, une grande époque littéraire : nous avons été menacés, froissés ; nous avons craint et souffert ; c’est plus qu’il ne faut, me semble-t-il, pour susciter un réveil intellectuel. Aux heures des grandes menaces, il suffit qu’une race ne s’affaisse pas dans la démission pour que, de la conscience du danger, jaillissent les meilleurs sursauts de ses énergies. Au surplus, dans la jeune génération très optimiste, il me paraît que s’accroît, chaque jour, « la pléiade de ceux qui portent au front l’ardeur d’une pensée, et qui veulent la dire et qui la disent avec des mots d’artiste ». J’indique où devra prendre son appui ce nouvel essor de la pensée canadienne-française. Et aux esprits chagrins qui gémissent sur l’extrême pauvreté de la « matière canadienne », qui ne savent quoi glaner, avec quoi nourrir un talent, étoffer une œuvre en ce pays aride, j’étale hardiment les richesses d’art en puissance que recèlent notre passé et notre terre. Aux romanciers, je dis, par exemple : « Il y a du drame partout où il y a de la vie… Cessons d’être aveugles ou expatriés et nous cesserons d’être improductifs ou livresques… Le temps est venu où quiconque croit posséder une idée féconde, n’a plus le droit de la garder pour soi tout seul. »

En feuilletant le premier volume de la revue, je note la large part que j’y ai déjà prise ou qu’on m’y a fait prendre dès les débuts. Encore à Valleyfield, j’avais souhaité la naissance d’une revue qui serait une « grande revue ». Le 28 mai 1915, il m’ar-