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mes mémoires

Et sans me donner le temps de répondre, sir Wilfrid reprend :

— Vous savez, je suis libéral en politique ; mais je suis resté résolument conservateur en matière d’enseignement. Ici, à Ottawa, j’occupe un excellent poste d’observation. J’écoute les orateurs anglais et français : ce qui me permet de juger des deux cultures. Or je puis en témoigner : pour l’ordonnance du discours, pour la souplesse de la dialectique et pour la correction de la forme, les debaters canadiens-français l’emportent d’emblée sur leurs collègues anglo-canadiens.

Et comme je lui fais observer que toutefois nos parlementaires prennent une part assez mince dans les principaux débats des Chambres, en particulier sur les questions économiques : questions de finance, de commerce, de transport, etc…

— Ceci, me réplique-t-il, c’est une autre affaire. Nos hommes publics auraient besoin — c’était en 1915 et 1916 — d’une plus solide formation en sciences économiques. Mais la chose regarde nos universités et non point nos collèges. Je voudrais que nos collèges, insiste-t-il, ne suppriment, dans leurs programmes, ni une ligne de latin, ni une ligne de grec…

Je fais ma conférence passablement réconforté par ce cordial accueil. J’ai choisi pour sujet : « La littérature canadienne-française et la survivance nationale », panorama ramassé de mon enseignement sur la matière à Valleyfield. Devant moi je ne puis perdre des yeux l’illustre président qui écoute avec une attention condescendante, j’ai presque envie de dire : celle d’un enfant devant qui l’on ferait défiler une suite de belles et grandes images. Il faut se rappeler que, vers 1916, ces retours sur le passé canadien-français, assez peu fréquents à l’époque, s’offrent aux auditoires avec la saveur d’une nouveauté. Toujours aimable, sir Wilfrid ne ménage point les compliments au conférencier. Et ce soir-là, vraiment impressionné par la gracieuseté du « vieux chef », je me remémore un mot que l’on prête à Mgr Adélard Langevin, à la suite