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deuxième volume 1915-1920

ajouté celles de l’Anglais, voyez quelle belle race nous serions devenus. » À quoi Bourassa avait répondu : « M. Laurier, des Canadiens français assimilés n’auraient fait que de mauvais Anglais. »

Ce soir-là d’octobre 1916, de quoi ai-je parlé au Théâtre Russell ? Je n’en suis pas bien sûr, comme tous les hommes qui, en leur vie, ont beaucoup et trop parlé. La découverte d’un texte, au fond de mes tiroirs, me permet de présumer que je pris pour sujet : « L’éducation du patriotisme par l’Histoire ». Et je n’ai gardé que des notes de ce discours. À l’aide d’une parole récente de Léon Daudet où le journaliste de L’Action française de Paris, témoin des héroïsmes suscités par la guerre dans les consciences françaises, écrivait : « Quelque chose de grand monte sur la France ! » j’enchaînais : « Voilà deux cent cinquante ans que quelque chose de grand monte sur notre pays. » Transition pour évoquer diverses formes d’héroïsme parmi les gens de chez nous, les plus humbles, les plus modestes, dont je trouvais le symbole dans Vers la gloire d’Édouard Détaillé au Panthéon français où, pour recevoir les lauriers et les palmes, on voit des têtes, des bustes qui émergent, des épées qui flamboient, des panaches qui flottent haut, mais tous ceux-là portés eux-mêmes par la vague immense d’une foule compacte et anonyme. Je passais donc en revue tous les dévouements dont s’honore le passé canadien-français sans oublier, puisque je m’adressais particulièrement à des femmes, l’héroïsme des mères canadiennes, celui des institutrices, — nouvelles Madeleine de Verchères, — celui de nos petites missionnaires du Grand-Nord ou des continents lointains. Mais tout cela, pour me poser cette question : « Qu’avons-nous fait de notre héritage moral ? Entre notre race en puissance et notre race en acte, y a-t-il équation parfaite ? » Il ne me restait plus qu’à insister sur la valeur pédagogique de notre histoire.

Ai-je dit autre chose ? Il importe peu. Le discours le plus attendu, ce soir-là, c’est bien celui de sir Wilfrid. Que dira-t-il devant le vaste auditoire et à une heure dramatique où, dans la capitale, tant d’âmes se sentent blessées et crispées ? Je passe ici la plume à M. Héroux qui, dans L’Action française de 1919 (III : 120-121), au lendemain de la mort de l’homme d’État, rappelle ce souvenir du Théâtre Russell :