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mes mémoires

me par les plus gros froids d’hiver, nous allions à pied, souvent de la neige par-dessus les genoux, quittes, rendus en classe, à frotter, l’un contre l’autre, nos souliers de bœuf gelés et durs comme des sabots. Presque toujours aussi, le soir, le retour se faisait à pied, quelque temps qu’il fît. Et quelle joie, certains jours, par les terribles poudreries, de foncer dans le vent nordet et de lui tenir tête, à demi étouffés par la bourrasque.

J’aimais beaucoup l’école, ai-je dit. Rien, mauvais temps, mauvais rhume, visites de parents, n’eût pu me retenir à la maison. Sur le tard de sa vie, ma vieille maman racontait volontiers à ce sujet, un incident de mon temps de petit écolier. Donc, un jour, elle me faisait, à la hâte, une coupe de cheveux. Tout à coup j’entends la cloche de l’école. Je décide de partir. Ma coupe de cheveux n’est pas finie. N’importe ! Maman se lamente, tente de me barrer le chemin par les portes de la cuisine. J’enfile la porte de devant, et je m’enfuis vers le village, la tête à moitié tondue… Je passai six ans, presque sept ans de mon enfance, à l’école de Vaudreuil. Ma dernière année, pour une raison que je donne ailleurs, je dus doubler ma syntaxe. Nous n’étions que deux dans cette haute classe : mon camarade Henri Desrosiers et moi-même. Le maître, un pauvre Frère qui se préparait à quitter sa communauté, oubliait facilement de faire la classe. Nous en profitâmes pour nous soûler de lectures.

À l’Académie des Frères, je trouvai de bons maîtres. Toutefois, je ne me souviens pas qu’aucun d’eux m’ait laissé vif souvenir ni forte empreinte. À l’école de mon village, nous apprenions peu de chose, mais nous l’apprenions bien : la lecture — même celle du manuscrit, préparation opportune quoique fort lointaine pour un futur historien — le calcul mental, l’arithmétique, un peu de géographie, un peu d’histoire du Canada, un peu d’anglais, mais surtout de la grammaire française et du catéchisme. Juste assez de quoi nous instruire sans surcharger nos petits cerveaux.

De mon temps d’école, ce précieux souvenir me reste, en particulier, que j’y pris le goût de la lecture. La bibliothèque familiale, pareille, ai-je besoin de le dire, à celle de toutes les familles paysannes, se bornait à peu de chose. L’on n’y eût trouvé, je pense, à part quelques almanachs, qu’un livre illustré, fort répan-