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mes mémoires

teur qui ne laisse place à aucune distraction de l’esprit, qui oblige plutôt à se concentrer malgré soi sur le document ou la page blanche. Je n’interromps mon travail de chaque jour que pour une excursion hebdomadaire vers les rivières et les lacs des environs avec mes jeunes compagnons du côté de l’est. C’est ainsi que, bien des fois, j’explore la poétique et charmante rivière La Pembina que je me suis essayé à décrire au début de Au Cap Blomidon. Nous allons à la pêche à la truite, aux framboises, aux bleuets. Un jour, avec trois scolastiques du Saint-Sacrement, je remonte, pour une excursion de pêche, la petite rivière La Michelle, jusqu’à sept milles de son embouchure, en pleine forêt. Chaussé de grosses bottes lacées, chargé de ma carabine, de mes lignes, d’un sac de voyage, je parcours, dans la journée, les quatorze milles, aller et retour, sans fatigue apparente. En route, près d’un grand champ de bleuets, nous apercevons, encore fraîches, des traces d’ours : ce qui nous fait courir dans les veines une légère inquiétude et nous donne, en même temps, je ne sais quel frisson délicieux. Pour un peu nous nous serions crus d’authentiques coureurs de bois. Et je crois bien qu’il en survivait en moi quelques hérédités. Eussé-je débuté plus jeune dans la carrière d’historien et mieux fourni de finances, avec quelle joie, à l’exemple de Parkman, j’aurais entrepris le long voyage aux Pays d’en haut et même sur le Mississipi ! Pour mieux décrire l’histoire des explorations françaises et pour en connaître les routes, avec quel entrain et quel charme, accompagné d’un compagnon ou deux, j’eusse pris le canot et l’aviron et vécu quelque temps la vie des anciens voyageurs ! Rêve, hélas, qui avec bien d’autres, a pris le chemin de mes illusions perdues.

Ébauche de L’Appel de la Race

C’est encore pendant mes vacances de 1921 que, dix ans avant Au Cap Blomidon, j’entreprends la rédaction de mon premier roman, celui qui fera, à son apparition, tant parler de lui : L’Appel de la Race. Devrais-je me donner la peine d’écrire l’historique de ces ouvrages qui, après tout, furent d’assez petites choses et qui ont survécu je ne sais trop comment ? Mais enfin,