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mes mémoires

bourg, tout proche ? Ce sera le lieu habituel de mes petites promenades quotidiennes. J’aime les lignes harmonieuses, les taillis, les coins d’ombre, les fontaines de ce jardin à la française ; j’en aime le demi-silence. Que de fois j’y ai promené mes rêveries de Canadien en exil, me déprenant malaisément, sans doute, de mes travaux, de mes soucis de chaque jour, mais songeant aussi au pays, aux mois qui me séparaient encore du grand retour.

Chez René Bazin

J’inscris aussi parmi mes distractions, quelques rencontres avec les sommités de là-bas. C’est cette année-là que je me lie d’amitié avec René Bazin. Je connaissais déjà quelque peu le romancier pour l’avoir rencontré à l’Archevêché de Montréal, lors de son premier voyage au Canada. Je vis surtout en lui un poète, un esprit fin d’une finesse exquise. Il paraissait enthousiaste de notre pays ; mais il blaguait volontiers ses hôtes sur les promenades par trop organisées qu’on lui servait. On l’avait conduit chez de riches habitants de Saint-Laurent près de Montréal. Il hésitait à croire qu’on lui eût montré notre vrai paysan. Fin observateur, il s’amusa, pendant le repas, à questionner ses voisins sur quelques traits de la grive canadienne : avait-elle le bec jaune et les pattes noires ou le bec noir et les pattes jaunes ? Les réponses, hélas, varièrent de convive à convive — nous étions à table — : ce qui amusa fort l’enquêteur. La première lettre que j’aie gardée de René Bazin, date du 22 septembre 1921. C’est une réponse à un mot que vraisemblablement j’avais dû lui écrire dès mon arrivée à Paris pour lui présenter quelques observations au sujet d’une critique de Maria Chapdelaine de Louis Hémon. Plus tard, j’aurai l’occasion de lui rendre quelques petits services, obtenir, par exemple, la reproduction rémunérée, dans La Presse de Montréal, d’un certain nombre d’articles de l’académicien, puis, j’écrirai, pour Le Devoir (27 juin 1931), une critique de son Magnificat qui aurait l’heur de lui plaire grandement. J’ai rappelé tout à l’heure qu’il avait daigné m’envoyer un billet pour une réception à l’Académie française. Fin de novembre ou début de décembre 1921, il m’invite à dîner chez lui. J’y rencontre Madame Bazin et quelques autres membres de la famille. Je ne répéterai pas la réflexion si banale, si usée que l’on nous sert d’ordinaire sur