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mes mémoires

Il est six heures du soir. Je suis à l’étude, passablement ennuyé, ne sachant que faire. De ma fenêtre, j’aperçois au loin la forêt. Elle me semble bien belle avec son feuillage d’un vert tendre. Mais je ne lui accorde qu’un regard et je porte mes yeux plus loin. Dans la brume du soir, à sept lieues environ, je distingue encore la crête des monts d’Oka. Longtemps mes yeux s’y arrêtent. Je voudrais pouvoir regarder au-delà. Car les monts d’Oka, ce sont presque les montagnes de mon pays. À leurs pieds dort un lac, sillonné en tous sens par les barges et les vapeurs de la Compagnie Murphy et Davidson. Sur la rive ouest de ce lac, autour d’une baie fermée par les eaux de l’Outaouais, est assis le village de Vaudreuil, avec ses maisons élégantes et coquettes et son clocher d’argent. Déjà les souvenirs et les affections se pressent en foule dans mon cœur. Vaudreuil, c’est mon village, mon foyer… et pourtant j’en suis bien loin. Je revois, par la pensée, la maison paternelle, humble, il est vrai, mais gardienne d’un véritable bonheur. Les figures souriantes de mon père et de ma mère, de mes frères et de mes sœurs, passent en défilant devant moi. Et ces grands arbres qui entourent notre demeure, c’est sous leur ombre, il m’en souvient que, la Rome et Lorette de Louis Veuillot à la main, j’ai passé mes loisirs des vacances dernières. Je revois aussi la rivière belle et limpide, ses îles verdoyantes autour desquelles j’aimais tant naviguer. Et penser que tout cela me sera bientôt rendu ! Songer que j’irai reprendre ma place au foyer, à ce foyer où tant de liens, tant de fibres me rattacheront toujours !

C’est cette page qui prendra la forme d’un petit poème en mon année de Belles-Lettres :

« Il est là-bas où le soleil se couche… »

Longtemps, je resterai l’adolescent mélancolique que la pensée du chez-soi secouera d’émotion.

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Mes maîtres de ce temps-là

Premières années de collège

Je n’ai pas gardé grand souvenir de mes maîtres, du moins jusqu’en Versification. Nous avions affaire à d’excellents sémi-