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leur étaient abandonnées. Pendant ces quatre ans, l’on aperçoit ce que pouvaient devenir l’enseignement du français, du grec et du latin, l’enseignement de l’histoire et de la géographie. Sur toute la ligne, triomphaient des méthodes primaires, culture intense du plus parfait psittacisme. Nous traduisions les vieilles langues en français et le français dans les vieilles langues, sans rien soupçonner des caractères différents ni des exigences essentielles des unes et de l’autre. Bien entendu, nos horizons ne s’étendaient pas au-delà de l’écorce du texte. Aucun aperçu sur l’art des anciens. Pas un commentaire pour livrer à nos jeunes intelligences un peu de la moelle de la grande antiquité. Pour l’histoire, du reste, les collégiens de mon temps n’avaient rien d’autre où étudier les civilisations anciennes et modernes que les petits manuels de Riquier ou de Rioux. Encore nos tristes maîtres, jugeant trop corpulents les minuscules manuels, entreprenaient-ils de nous en dicter des résumés et des tableaux plus ou moins synoptiques dont il fallait se bourrer la mémoire. Et cette fois encore, bien entendu, nul commentaire des faits, nul élargissement des perspectives par lectures appropriées à l’événement ou à l’époque. L’enseignement de la géographie se portait à peine mieux. Celui-là aussi se réduisait à la science exclusive du manuel, à la simple récitation sans commentaires, trop souvent même sans l’usage de la carte. Je n’ai gardé bon souvenir que d’une tranche de la géographie : celle de l’Amérique du Sud. Un professeur suppléant, l’abbé Aldéric Desjardins, eut la bonne idée de nous contraindre à fabriquer des cartes de cette Amérique ; il s’avisa même de compléter le manuel par la lecture d’explorations fort intéressantes, admirablement faites pour aiguillonner nos imaginations d’adolescents.

Le pire inconvénient de ce système d’appel trop exclusivement à la mémoire, c’était d’engourdir l’intelligence, de nous rendre peu exigeants, peu réalistes. Nous nous nourrissions de mots plus que de choses, d’à peu près plus que de vérité. Le