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mes mémoires

En Belles-Lettres

Après cette préparation suffisamment gauche, j’abordai mes classes de littérature. M’y pouvais-je promettre quelque succès ? Et d’abord quels professeurs me réservait la Providence ? Mon professeur de Belles-Lettres, l’abbé Aristide Sauriol (qu’on appelait le Petit-Ariste, à cause de sa petite taille), possède quelque érudition littéraire, du goût, un ensemble de dons que, par manque d’esprit de travail, il n’utilise que modestement. Son plus grave tort est de ne corriger nos copies qu’avec la plus régulière négligence. Ce qui nous vaut de cultiver, avec persévérance et religion, nos défauts et carences, sans grande possibilité d’en sortir. Dès le début de l’année, le cher maître nous abonne à une note critique qui, au coin de notre composition hebdomadaire, revient implacablement comme un ne varietur. Ainsi j’apprends, dès ma première composition, que je souffre d’un style « monotone et rocailleux ». Qu’était-ce qu’un style « monotone et rocailleux » ? Je passai l’année à me le demander, tout comme on passa le même temps à me le reprocher. Le professeur nous abonne aussi à une note ou cote d’appréciation qui reste invariablement au même chiffre. Méthode discutable comme stimulant au travail. Une semaine que le choix du sujet de composition est resté à notre gré, un malin camarade s’avise, pour mettre à l’épreuve la diligence et la sagacité du professeur, de lui remettre tout bonnement une description du printemps empruntée mot pour mot à Eugénie de Guérin. Le camarade en est quitte pour se voir attribuer la même observation critique avec un fléchissement notable de ses points coutumiers. Une seule fois, au coin de ma copie, la note et la critique vont varier quelque peu. Il s’agit encore d’un sujet libre. Je remets une petite pièce de vers : quatre strophes qu’un jour d’ennui m’avait inspirées la crête lointaine des Deux-Montagnes aperçue de ma fenêtre de la salle d’étude. Cette crête évoque pour moi tout le pays natal. On se rappellera la page du journal que le paysage m’inspirait l’année de ma