Page:Groulx - Mes mémoires tome I, 1970.djvu/61

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
61
premier volume 1878-1915

Frank Laurendeau, futur curé de Ford City et, à cette époque-là, d’un esprit assez opposé à celui de son cousin, Émery. Ce sont ces trois qui, dans quelques années, fait assez peu ordinaire entre confrères de classe, rendront possible mon séjour d’étude en Europe.

Quant à mes maîtres, je dois le dire, ils m’ont toujours traité en enfant privilégié. En Philosophie 1re année, on me fait lecteur au réfectoire des prêtres : ce qui, pendant deux ans, me vaudra de manger à une table spéciale, non toujours débordante de reliefs d’ortolan, mais assez bien fournie pour exciter la jalouse gourmandise des confrères moins fortunés. L’emploi me vaudra surtout d’excellentes leçons de lecture et de diction, et de la part d’un expert, l’abbé Pilon, auteur d’un petit traité de prononciation. Car, au réfectoire des prêtres, sauf les jours de congé ou de grande visite, il y a lecture pendant le dîner et le souper et une lecture, non pas recto tono, mais qui doit se plier aussi intelligemment que possible aux exigences du texte. La première année, je partage la tâche avec Alfred Langlois qui m’avait précédé l’année d’avant. En mon année de finissant, on me confère un autre poste de confiance : celui de « lampiste », l’homme au trousseau de clés, chargé d’aérer salle d’étude, salle de récréation et dortoir, et qui, pour cela même, possède la clé de la liberté, fée merveilleuse qui le tire hors de la discipline, l’autorise à circuler librement à l’intérieur et à l’extérieur du collège, véritable clé des champs qui, les jours de congé, lui vaut de petites randonnées à travers coteaux et ravins des environs où promener ses fantaisies de jeune rêveur. Parmi ces promenades, quelques-unes me reviennent en particulier : celles qu’avec mon ami Langlois, nous avons refaites plusieurs fois, au bas des coteaux qui longent maintenant la grande route vers les Laurentides. Alfred Langlois était finissant ; il jouissait de tous les privilèges du lampiste. À titre de compagnon de lecture, au réfectoire des prêtres, il m’entraînait avec lui les après-midi de congé. Il était pour moi l’ami à qui je pouvais confier mes sentiments et mes pensées les