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mes mémoires

reçue en prix au collège ; je vais suivre quelques cours de philosophie au Collège de Valleyfield, cours alors donnés par l’abbé Delphis Nepveu, mon ancien professeur de Versification à Sainte-Thérèse. Et je lis livres et brochures que me conseille mon évêque. De ce séjour, je retiens que j’appris à connaître le milieu ecclésiastique ; j’eus l’avantage de vivre dans l’intimité d’un évêque cultivé qui m’ouvrit l’esprit sur bien des problèmes de science religieuse et sur d’autres de notre temps. De ce côté, j’aurais pu subir d’autres influences, faute de me tenir sur mes gardes.

Mgr Médard Émard

Entre les courants d’idées qui partageaient alors le clergé et les milieux catholiques au Canada français, Mgr Émard penchait plutôt vers l’école libérale. L’homme était trop instruit pour être de doctrine libérale ; libéral, il l’était par sa tournure d’esprit, par son tempérament, ses tendances. Il n’aimait guère la presse catholique. Il abhorrait Veuillot, alors en grande vénération au Canada ; il n’aimait pas, non plus, Tardivel, le directeur de La Vérité, le « hibou des Plaines d’Abraham », se plaisait-il à l’appeler. « Un journal catholique, me disait-il un jour, ne serait acceptable que rédigé et dirigé par les évêques ; or les évêques n’ont pas le temps de se livrer à cette besogne. » En résumé, il se méfiait de toute action laïque dans l’Église, se complaisait en de fréquentes dissertations sur le rôle distinct des deux Églises enseignante et enseignée. Il ne goûtait ni les Ligues du Sacré-Cœur, ni même les Conférences de Saint-Vincent-de-Paul. Autre symptôme de l’esprit libéral : autant mon évêque se montrait sévère pour les laïcs apôtres ou militants, ceux que je croyais les bons serviteurs de la cause catholique de l’Église, autant il débordait de mansuétude pour leurs adversaires, les coryphées du libéralisme politique et religieux. J’en vins à constater, avec un peu d’effroi, que mes idées et celles de mon évêque se situaient à des pôles passablement opposés.