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premier volume 1878-1915

science presque sensible d’une intimité exceptionnelle avec Notre-Seigneur Jésus-Christ, intimité qui va jusqu’à le sentir vivre en soi. Mon journal intime garde peu de trace du bonheur que je goûtai en ces jours privilégiés. Du reste, je ne confiais plus que rarement mes impressions à ce pauvre cahier, cinquième de la série. À la date du 21 décembre 1903, j’y écrivais précisément : « J’ai presque délaissé mon journal. Le temps est venu d’occupations sérieuses, plus sérieuses. Ce mouvement des jeunes auquel je me donne sans réserve, ne me laisse plus de temps à consacrer aux travaux qui ne sont pas que des travaux. Autrefois, j’avais ce besoin, besoin impérieux de vider ici mon âme. Aujourd’hui, je la vide dans mes lettres et dans l’âme des jeunes. C’est plus utile et plus prêtre. » Des jours de mon ordination, je ne trouve, du 27 juin 1903, que ces courtes lignes : « Demain, je serai prêtre. Ordination à 7 h. 30. Ô mon Dieu, cela arrivera-t-il ? Je n’ai osé rien écrire ici. Ce que j’y aurais mis eût été trop loin des grâces dont Notre-Seigneur m’a comblé en ces derniers jours, trop au-dessous des grandes choses que le jour de demain va faire dans mon âme, dans ma pauvre âme à moi. » Un peu plus loin, à la date du 1er septembre 1904, date anniversaire de mon entrée au Grand Séminaire, je relis ces lignes encore brèves : « Aujourd’hui, à cinq ans de distance, sans aucun regret de ce que j’ai sacrifié, si je retourne mes regards vers le passé, c’est pour remercier Dieu de m’avoir fait choisir la meilleure part, de m’avoir fait tôt comprendre que les choses laissées en arrière ne valaient pas la peine d’un regret devant les joies souveraines qui m’ont attendu au chemin de ma nouvelle vie. »