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mes mémoires

pagne intellectuelle ? On pourrait dire qu’elle a utilisé presque toutes les formes de la littérature de propagande : le tract, l’article d’actualité ou l’éditorial, le portrait, la critique littéraire, la pièce documentaire, la chronique, chronique de ce que j’appellerai la « petite guerre », chronique de la vie de l’œuvre ; elle adoptera surtout le procédé de l’enquête, qui est presque le procédé du livre, étude approfondie d’une question, d’un problème, servie par tranches, comme autant de chapitres d’un ouvrage.

Le tract, L’Action française le servira mensuellement à ses lecteurs, à partir de 1921, sous la forme du « Mot d’ordre », placé en première page. L’initiative appartient à Antonio Perrault. Le temps nous manque souvent de faire sa part à l’actualité de la dernière heure, ou d’intervenir en des questions urgentes. Le mot d’ordre y pourvoit. Quelques lignes concises, bien frappées, exposeront, dira Jacques Brassier, tantôt un point de notre doctrine exigé par les circonstances, « tantôt notre attitude… sur des entreprises ou des problèmes où l’Action française ne saurait se dérober sans manquer à la raison même de son existence ». J’ai rédigé, je crois, le plus grand nombre de ces mots d’ordre. Lorsqu’il en est question dans nos réunions, mes collègues de la direction se tournent d’ordinaire de mon côté. On me prête quelque aptitude pour ces sortes de mises en garde, ces appels à la résistance, ces brèves harangues de combat. Il ne serait pas sans intérêt d’en faire un recueil. L’œuvre de L’Action française s’y révélerait, pour une bonne part, avec son caractère de revue d’avant-garde, son sens de l’actualité, son souci de la synthèse vitale. J’y retrouve, par exemple, la hantise du problème qui, vers 1920, obsède tous les esprits : celui de l’émancipation économique. Sous le titre : « Secouons le joug », l’auteur du mot d’ordre (août 1923) dénonce l’invasion sans frein du capital américain :

Nous croyons qu’un jeune État comme le nôtre ne saurait se passer du capital étranger. Mais nous croyons aussi que le capital étranger ne doit jamais prendre la place du capital national ; dans les entreprises qu’il fonde ou qu’il assiste, il doit en définitive concourir au bien public, sous peine d’être un désordre ; par-dessus tout il ne doit jamais devenir tellement puissant qu’il crée un sur-État économique capable de tenir en laisse l’État politique.