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mes mémoires

l’heureuse influence du renouveau patriotique. Ils ont été des admirateurs et des propagateurs de L’Action française et du Devoir. Bref, ils se sont tous promis de devenir plus tard des champions de la cause nationale. Et ils étaient sincères. Mais aussitôt arrivés dans ce milieu glacial qu’est l’Université, leurs ardeurs se sont subitement refroidies. Ils n’y ont trouvé absolument personne pour les guider dans cette route où les avaient engagés des professeurs patriotes, à cette heure où ils en avaient le plus besoin. « Leurs illusions » se sont vite dissipées.

La première cause du malaise est donc notre manque absolu de chefs. Une seconde est l’arrivisme qui s’empare peu à peu des étudiants.

Un petit groupe de politiciens mettent en échec constamment et partout ceux qui revendiquent la liberté de penser. Veut-on obtenir une place quelque part pour payer ses cours, il faut être partisan libéral. On en obtiendra peut-être une au Parlement tout en étant conservateur, mais non pas en étant ni l’un ni l’autre. La clique des Taschereau, qui gouverne Québec, hait non pas tant ses adversaires en politique que ces indépendants qui croient que le patriotisme ne consiste pas dans la soumission aveugle à un parti politique.

Vous pensez peut-être que j’exagère. Je vous assure pourtant que je reste en deçà de la vérité.

Malgré tout, cependant, les idées de l’Action française sont tous les jours en progrès. Elles font beaucoup de nouveaux adeptes. Je n’en doute aucunement. Nous en avons eu une preuve lors de votre dernière conférence à Québec à laquelle tous les étudiants de première année assistaient sauf deux ou trois sur trente-cinq.

Combien nous disent : « Je tairai mes convictions nationalistes jusqu’à ce que je me sois créé une position sûre ; mais alors j’énoncerai mes opinions et je lutterai pour leur triomphe. » Peut-on les en blâmer ? Souvent c’est leur gagne-pain qu’ils risqueraient en agissant autrement. Presque tous mes confrères m’affirment qu’ils se rangeraient hardiment sous la bannière de l’Action française, les uns s’ils étaient indépendants de fortune, les autres s’ils avaient des guides. Que n’avons-nous cette admirable série de professeurs patriotes qu’il y a à Montréal !