Aller au contenu

Page:Groulx - Mes mémoires tome II, 1971.djvu/168

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
164
mes mémoires

dans le milieu de la grande ville et qui, victime impuissante, assiste à la lente et inexorable désintégration de son idéal. Je suis pour lors en vacances à Saint-Donat. N’ayant pu m’atteindre, le conscrit jette son article à la poste à l’adresse du Nationaliste qui le publie. Quelques jours plus tard, l’abbé Perrier m’amène à Sainte-Agathe-des-Monts. Nous allons rendre visite à M. Henri Bourassa. Mme Bourassa, gravement malade, est hébergée dans un sanatorium. Au cours de la conversation, M. Bourassa dit tout à coup :

— Oh, avez-vous lu, dans l’un des derniers numéros du Nationaliste, un article qui a pour titre : « L’arrivisme ». Franchement, je n’ai rien lu de si poignant. C’est signé L.-P. D. J’aimerais beaucoup connaître l’auteur.

— Rien de plus facile, répondis-je. Ce n’est pas pour moi un inconnu. C’est un étudiant en droit à l’Université de Montréal et il s’appelle : Léo-Paul Desrosiers.

— Croyez-vous, reprend M. Bourassa, qu’il aimerait faire du journalisme ?

— Je ne le crois pas. Le don d’improvisation n’est pas son fait. Il me l’a confié maintes fois : il écrit au compte-gouttes. Il aime le travail solitaire, la lente éclosion. Il a plutôt l’étoffe d’un penseur. Je le vois plutôt dans un poste de conservateur de bibliothèque ou d’Archives publiques… Mais M. Bourassa, je lui ferai part, si vous le permettez, de votre émotion et de votre proposition. Je suis assuré qu’il en sera très flatté et très encouragé. Et ce ne sera point pour lui, du superflu.

— Dites-lui qu’il vienne me voir.

Je transmets à Desrosiers l’invitation de M. Bourassa. Dans l’intervalle, l’armée de Sa Majesté a rejeté comme unfit, le récent conscrit. Soldat peu enthousiaste et peu enclin à donner sa vie pour la défense de l’Empire, le jeune nationaliste a dû paraître plutôt gauche dans les exercices militaires et d’une médiocre souplesse devant les exigences de la discipline des camps. Il se rend au Devoir, n’y trouve point M. Bourassa. Mais M. Héroux le reçoit amicalement. Quelques mois plus tard, l’offre lui