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Page:Groulx - Mes mémoires tome II, 1971.djvu/170

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mes mémoires

Que va-t-il faire dans les chantiers ? A-t-il obtenu un emploi dans quelque bureau ? S’en va-t-il chercher un sujet de roman ? Je puis mettre Georges Pelletier sur sa piste. Quelques jours plus tard, j’apprends le départ de Léo-Paul Desrosiers pour Ottawa. Combien cette décision lui a dû coûter, je me l’imagine un peu. Réussirait-il en son nouveau et dangereux poste ? C’est alors tâche harassante que celle de correspondant parlementaire du Devoir à Ottawa. Le journal n’exige pas moins de cinq lettres par semaine. J’attends avec inquiétude la première du nouveau correspondant. Elle me paraît pénible, d’un français plutôt embarrassé. Mais elle a paru un vendredi. Le journaliste aura la fin de semaine pour préparer sa deuxième lettre. Le dimanche, le hasard de sa promenade le conduit sur la colline parlementaire. En arrière des édifices du Parlement, il aperçoit, braqués sur Hull, vers la rive québecoise, une rangée de canons, gueule ouverte. Une image dramatique se dresse en son esprit. Nous sommes à la phase violente de la crise scolaire franco-ontarienne. Les canons, en un tel lieu, face à la rive française, évoquent le duel des races au Canada. Un splendide article jaillit de la plume du journaliste-novice, article plein d’émotion, plein de la terrible réalité historique et qui se coiffe de ce titre : « L’Appel aux armes ». Léo-Paul Desrosiers a gagné la partie haut la main.

Il fera du journalisme, sans beaucoup se réconcilier avec le métier. Pendant huit ans, il tournera sa meule. Il ne fera pas oublier les « Lettres d’Ottawa » de Georges Pelletier, aux premières années du Devoir, lettres si vivantes, si étoffées. Desrosiers n’en sera pas moins un correspondant parlementaire remarquable, l’esprit ouvert à tous les problèmes et les abordant avec une suffisante compétence. Il reste cependant le rêveur d’hier qui ambitionne toujours une fonction moins absorbante, moins ravageuse pour l’esprit. Aux premiers moments libres, il se remet à fleureter avec la littérature d’imagination. Le 1er février 1922, en même temps qu’il m’annonce son prochain mariage avec Mlle Tardif (Michelle Le Normand) pour le mois de juin, il termine sa lettre par cette note mêlée d’optimisme et de pessimisme :

L’intérêt que vous avez toujours pris à mon avenir et le soin que vous avez toujours eu de me favoriser en toutes circonstances me touchent bien vivement, veuillez le croire, mais puisque