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quatrième volume 1920-1928

frein. C’est une époque qui rappelle grandement celle de la décadence & de la chute de l’Empire romain, surtout par sa littérature et le relâchement des mœurs.

En 1843, nous sommes, au Canada, à l’année de la crise Metcalfe : année de la démission du ministère LaFontaine-Baldwin, sur une question de principe constitutionnel, année aussi de la défection de Denis-Benjamin Viger qui passe au parti du gouverneur. Très libre, très personnel en ses jugements, Lactance Papineau donne tort au grand cousin. Avec force il défend son point de vue contre le cousin Dessaulles et même contre son frère Amédée. À tous deux, de Paris, il sert un véritable cours de stratégie politique. Pour lui, point de trêve dans la lutte avant la conquête de la pleine liberté politique. Toute autre tactique aboutit au néant ; toute compromission implique faiblesse. « Si nous ne pouvons nous résoudre à la lutte, fait-il sévèrement observer à son frère, subissons l’esclavage : pas de tierce parti. Et si nous tenons à défendre notre vie, pourquoi, au préalable, souiller notre honneur ? »

On le pressent déjà : le jeune exilé aime le pays natal, comme il aime tout, passionnément. Son frère Amédée qui, proscrit, fait alors ses études de droit aux États-Unis, est tout enfiévré d’américanisme. Le frère aîné ne voit qu’un avenir enviable pour le Canada : s’américaniser, communier à la grande civilisation américaine. L’étudiant parisien se prête aux équitables concessions : « Nous avons, je te l’accorde, beaucoup à gagner en étudiant les Américains ; il faut les comprendre avant de connaître l’Europe. Je l’admets. Mais tant mieux pour ceux qui, dès l’abord, étudieront les deux. »