Page:Groulx - Mes mémoires tome II, 1971.djvu/241

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
237
quatrième volume 1920-1928

de sa femme à « la mauvaise santé » de Madame Papineau et « au mal du pays ». Des confidences d’autres membres de la famille laissent soupçonner autre chose : l’atmosphère du foyer, à Paris, n’a pas été étrangère à la séparation. Il y a, par exemple, ce mot de Lactance, dans une de ses lettres à Amédée et qui vise son père : « Pourquoi toujours accuser maman, quand il sait qu’elle a été parfaitement raisonnable et courageuse ?… » Un seul enfant de Papineau restera avec lui : son fils Lactance, arrivé le premier. L’étudiant sera donc seul à subir, pendant deux ans, les accès de l’humeur paternelle. Faut-il le dire ? On connaîtrait mal le Papineau des années d’exil sans les lettres de Lactance. Le grand homme nous y apparaît pessimiste, irritable à l’extrême, mais encore parfaitement irrésolu. Il semble qu’en lui tous les ressorts soient détendus. Quittera-t-il Paris ? Rentrera-t-il au Canada ? Les objurgations de sa femme, de quelques-uns de ses proches n’y peuvent rien. Lactance écrit à son frère Amédée (30 mars 1844) :

Sa vivacité est vraiment de la faiblesse. Il est fort par l’esprit et par la raison. Et il n’a plus de puissance dans toutes les questions qui reçoivent leur vérité du sentiment… Il n’a en lui aucune activité spontanée. Il faut que l’approbation de quelqu’un vienne relever son courage qui voit partout des obstacles.

Cette même lettre de Lactance nous a conservé un piquant dialogue qui, mieux que tout, nous révèle jusqu’à quel point, entre le père et le fils, les relations se sont parfois tendues :

Un jour il me dit qu’il a donné congé de notre loyer avec la fin de ce terme-ci (1er avril) et qu’il faudra en chercher un autre.

Moi : — Vous pourriez le continuer un mois ou deux, encore, aux mêmes conditions.

Lui : — Mais quand donc veux-tu partir ?

— Quand vous voudrez : je suppose que vous êtes plus pressé que moi de retourner au Canada ? Je vous ai déjà dit que quelques mois de plus à Paris me seront très-utiles ; mais je suis toujours prêt à partir quand vous y serez disposé.