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quatrième volume 1920-1928

vers ce temps, l’appréhension de cette triste fin de vie ? Qu’y a-t-il de fondé en cet autre trait que me rapporte M. Héroux ? Un jour, à Manrèse — maison de retraites fermées des Jésuites à Québec — on lui aurait passé la vie de Louis Veuillot par Eugène Veuillot en quatre tomes. La fin du maître Veuillot, son maître, réduit au « grand silence », incapable d’écrire une ligne, l’a-t-elle impressionné, bouleversé ? Il rapporte le livre à celui qui le lui a prêté en lui disant : « Voilà la fin qui me guette ! » Quel mystère tout de même que ces fins d’hommes ! Le plus magnifique chef-d’œuvre offert à l’effort humain, mais aussi le plus difficile et le plus rare, serait-ce la vie vigoureusement une, vécue en absolue droiture ? Ou Dieu voudrait-il nous apprendre qu’il peut sauver les hommes sans l’homme ? Notre petit peuple aurait cependant si grand besoin de chefs sans ombre ni reproche, qu’il pourrait pleinement admirer.

Voilà donc mon diagnostic sur l’évolution de Bourassa entre 1922 et 1926. De la justesse de ce diagnostic, me fallut-il une autre et dernière confirmation ? Je la trouverais dans la soudaineté de la guérison du malade. Et la guérison, un événement, un choc le plus propre à cette fin ou à ce miracle l’allait produire : le retour offensif de l’impérialisme en 1939, au début de la seconde Grande Guerre. Coup de foudre qui, des yeux de l’ancien chef nationaliste, fit subitement tomber les écailles. Mais quoi ! Ce n’était donc pas contre une ombre, un mythe qu’il s’était battu ? L’ennemi rentrait violemment dans la place. Du coup, la conscience d’Henri Bourassa se fit limpide, lumineuse ; il retomba sur ses pieds ; il sortit de son mauvais rêve. Je n’étais pas allé l’entendre, ai-je dit, depuis quinze ans. Le 20 octobre 1941, il prononçait une conférence au Plateau, encadré, cette fois, de Georges Pelletier et de Maxime Raymond. Entraîné par mon ami, le chanoine Armand Paiement, curé de Saint-Louis-de-France, je me rends à l’auditorium de la rue Calixa-Lavallée. Je suis curieux de savoir ce que l’orateur a gardé de son ancienne manière, de sa vigueur d’esprit. Je trouve à m’enchanter. La vigueur oratoire et