Aller au contenu

Page:Groulx - Mes mémoires tome II, 1971.djvu/274

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
270
mes mémoires

mauvais maîtres, aux écoles de déformation. Je retrouve des traces de cette préoccupation dans l’article dont je parlais il y a un instant :

Il faut sans retard faire la revision de nos valeurs intellectuelles ; il faut chercher avec ardeur et conscience si les idées qui palpitent au cerveau de la race, sont de cette qualité qui inspire les déterminations victorieuses…

… Nous n’avons que faire d’œuvres et d’esthétiques qui ne servent point la culture française et qui, par cela même, ne sont point de l’art ni n’en peuvent créer.

Sur la santé de l’esprit et sur les moyens de la préserver, j’insistais plus expressément dans « Nos responsabilités intellectuelles », conférence prononcée le 9 février 1928, à la salle Saint-Sulpice de Montréal, à la soirée des « Prix d’action intellectuelle »[NdÉ 1]. J’y disais (le morceau est un peu long mais indispensable pour le moment) :

Une culture n’a le droit de vivre que si elle a prouvé son aptitude à vivre. Autant dire que notre littérature est obligée à la bonne tenue, et, sans doute aussi, à l’esthétique du bon sens. Libre aux vieux peuples riches de chefs-d’œuvre et parvenus à la période de surproduction de se payer des luxes et des fantaisies de décadence. Pas les pauvres ni les débutants que nous sommes. Emprunter à certaines littératures européennes leurs excentricités anarchiques, leur manie du compliqué et du bizarre, moyen infaillible d’en rester à l’impuissance et à la littérature solitaire. Le rêve nous hante parfois de produire enfin le chef-d’œuvre qui révélera au monde le génie d’une race. Garder nos esprits en santé voilà pour donner au rêve sa meilleure chance. Car, voici bien une présomption de quelque valeur contre toute esthétique individualiste et anarchique que, depuis 5 à 6,000 ans qu’il y a des hommes et qui écrivent, la critique n’ait daigné inscrire au catalogue des œuvres immortelles que celles-là qui respectent l’humanité, c’est-à-dire le sens moral, mais d’abord ce par quoi l’homme est homme : la hiérarchie essentielle des facultés.

  1. Conférence publiée en partie dans L’Action française (XIX : 81-96), publiée intégralement en brochure et reproduite dans mon volume Orientations, 11-55.