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mes mémoires

de son fils Honorius. La chère vieille aurait pu se permettre, après sa longue vie de travail, quelques années de tranquillité et de joie. Ses enfants presque tous établis dans la paroisse l’entouraient de leur affection. Il est des existences qui ont conquis le droit, ce semble, de finir dans le calme d’un beau soir. Le Bon Dieu en avait décidé autrement. La mort de son second mari avait profondément affecté ma maman. Les séparations entre vieux époux apportent un double poids de solitude, celui de leur survivance et celui de leur veuvage. En 1925, ma mère vient passer avec moi, à Saint-Donat, les vacances d’été. En dépit de son âge, cette femme de soixante-dix-sept ans avait gardé une rare souplesse. Je remarque pourtant qu’elle boitasse, traîne une jambe. Elle croit à du rhumatisme. La douleur s’aggrave. Je lui propose un court séjour à l’Hôtel-Dieu de Montréal, pour un examen médical. Les docteurs Alexandre Saint-Pierre et Louis de Lotbinière-Harwood, appelés en consultation, diagnostiquent, dans la jambe boiteuse, une artériosclérose avancée. Ils parlent même d’amputation immédiate. En cette femme active, on devine la consternation. L’opération chirurgicale — jambe amputée au-dessus du genou — impose à ma pauvre mère la marche à la béquille. Qui prendra soin de cette infirme ? Réduite à une demi-activité, elle se désole. Mes sœurs, presque toutes chargées d’enfants, ne peuvent ajouter à leur tâche. Ma mère tourne les yeux de mon côté. Je prends soudainement une résolution : me faire curé. Entre des travaux d’historien et l’administration spirituelle et temporelle d’une cure, y avait-il compatibilité ? J’en doutais un peu. Mais le devoir filial me paraissait impérieux. D’autre part, dans ma vie, le changement serait profond. Je me plaisais beaucoup au presbytère de l’abbé Perrier. Le curé, homme intelligent, me laissait toute liberté en mes travaux d’historien. Au vrai, je ne donnais au ministère parois-