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cinquième volume 1926-1931

Pour finir, et en allusion à nos luttes politico-religieuses de ce temps-là, j’ajoute ce petit bout de conclusion, destinée à rassurer ces catholiques timorés pour qui tout nationalisme — toujours celui des autres, jamais le leur — prend aspect d’épouvantail :

Sans doute le catholicisme passe avant la nationalité, et les Canadiens français acceptent franchement cet ordre essentiel ; mais le principe vaut [croyons-nous] pour toutes les races. Et ce que les Canadiens français ont le droit d’attendre, c’est que les assimilateurs ecclésiastiques leur disent enfin quelle nécessité impérieuse, quel intérêt petit ou grand de l’Église commande à leur nationalité le sacrifice de ses droits essentiels, le sacrifice même de sa culture et de son âme ; nationalité minime, il est vrai, mais qui, tout de même dans le passé, a évangélisé les deux tiers de l’Amérique du Nord et qui, aujourd’hui, avec à peine trois millions d’âmes, fournit aux grandes missions, non pas plus d’or, sans doute, mais plus de chair et plus de sang, plus de vocations d’hommes et de femmes que les pays catholiques des deux Amériques mis ensemble…

J’ai peut-être beaucoup insisté sur notre « vie dangereuse », sur le péril irlandais, sur la formidable ambiance anglo-saxonne. Hélas, une fois de plus, je pourrai constater jusqu’à quel point ces chers cousins de France sont envoûtés par le prestige des Britanniques et des Américains. George Goyau — ainsi s’exprime le Bulletin de la Corporation des Publicistes (mars 1931) — me remercie « très chaleureusement ». Mais, à la sortie, le secrétaire me glisse à l’oreille : « M. l’abbé, notre Bulletin publiera votre causerie ; mais je ne crois pas qu’aucun journal de France en prenne le risque. » C’est le cas de le dire : formidable !