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cinquième volume 1926-1931

tout ému devant ces yeux si vifs, si pleins de vitalité, qu’on dirait un vieillard ramassant ses forces à tout instant. Et comme je lui dis mon étonnement de son extraordinaire fécondité intellectuelle : tous ces cours, toutes ces conférences distribués à gauche et à droite, ces articles à je ne sais combien de revues, et par surcroît, la publication d’au moins deux volumes par année, ce grand modeste me répond en souriant : — « Oh vous savez, avec un bon secrétaire, on peut faire beaucoup. Or, mon secrétaire est lui-même professeur à l’Institut catholique de Paris. »

Chez Pierre de La Gorce

Je désirais aussi grandement rencontrer celui-là. Je ne pouvais oublier qu’au début de ma carrière d’historien, Pierre de La Gorce avait été, parmi les historiens français, celui que peut-être j’avais le plus lu et le plus admiré. Ses gros volumes du Second Empire m’avaient paru quelque peu prolixes. En revanche quel souvenir j’avais gardé de son Histoire de la Seconde République et surtout de son Histoire religieuse de la Révolution française. Il me semblait qu’on ne pouvait tenter plus admirable reconstitution du passé. En ces jours de 1931, c’est par M. de La Gorce que j’aurais voulu commencer ma tournée d’historiens. La Providence me servit à souhait. Dès mon déjeuner chez Louis Artus, il arrive que j’ai pour voisine à table, la fille de l’historien, Mlle Agnès de La Gorce, elle-même femme de lettres, et qui est l’auteur d’intéressants ouvrages sur quelques poètes anglais. L’avait-on placée à mes côtés parce qu’on me croyait fort en littérature anglaise ? Hélas, de cette littérature, je n’avais guère lu ses poètes et ses prosateurs, sauf ses auteurs catholiques, Newman, Hilaire Belloc et quelques autres. Je connaissais plutôt les parlementaires et les historiens anglais. Je profite du premier moment pour lui présenter ma requête : « Mademoiselle, lui dis-je, je suis un grand admirateur de votre père. J’ai lu presque tous ses ouvrages. Je l’admire comme un maître. Vous ne sauriez croire combien je serais heureux de l’aller saluer. » Mlle de La Gorce me répond tout de suite : « Oh ! M. l’abbé, ce sera la chose la